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Chapitre 8 

La Guerre du Vietnam aura lieu

L’invasion de Cuba n’eut pas lieu. À la place, Cuba fut soumise à un embargo drastique, une guerre de siège destinée à provoquer la faillite et l’effondrement du régime. Cette guerre économique ne fit que crisper la dictature castriste dans une attitude d’auto-défense et resserer ses liens avec le Kremlin, sans jamais la menacer réellement. Cette politique survivra à la fin de la Guerre froide et reste inchangée jusqu’à aujourd’hui. Cet invraisemblable anachronisme est dû à l’intense lobbying du Cuban American National Foundation (CANF), deuxième lobby le plus puissant des États-Unis après l’AIPAC, fondé en 1981 par un ancien de la Baie des Cochons, Jorge Mas Canosa.


L’invasion de Cuba n’eut pas lieu, mais les généraux obtinrent de Johnson, à la place, la Guerre du Viêt Nam, plus lointaine et donc moins risquée politiquement. Kennedy avait résisté à la demande pressante des Joint Chiefs of Staff d’envoyer des troupes au Viêt Nam. Il ne se résolut qu’à y maintenir une force de 15 000 hommes, qui n’étaient officiellement que des « conseillers militaires ». Kennedy avait été convaincu par le général Douglas MacArthur, qui lui avait dit, en bon connaisseur de l’Asie : « Quiconque veut affecter des troupes terrestres américaines sur le sol de l’Asie devrait se faire examiner la cervelle . » Kennedy citait souvent MacArthur en réponse aux conseils des Joint Chiefs : « Eh bien, maintenant, messieurs, allez convaincre le Général MacArthur et je serai convaincu . » Le Général Taylor se souvient : « Je n’ai souvenir de personne qui se soit opposé fortement à l’envoi de troupes, sauf un seul homme, et c’était le Président. Le Président ne voulait tout simplement pas se laisser convaincre que c’était la chose à faire . » Fin 1963, Kennedy avait pris la décision d’évacuer la totalité du personnel militaire américain du Viêt Nam, et s’en confia à son entourage proche. Sachant qu’une telle décision serait exploitée par ses ennemis dans la campagne de 1964, il décida de la reporter à son second mandat. « La première chose que je ferai quand je serai réélu, confia-t-il à Tip O’Neill, ce sera de sortir les Américains du Viêt Nam. […] C’est ma priorité numéro 1 : sortir de l’Asie du Sud-Est . » Dès le 11 novembre, il préparait le terrain du désengagement par la directive NSAM-263, qui prévoyait de retirer « 1 000 membres du personnel militaire d’ici la fin 1963 » et, « d’ici la fin 1965, […] le gros du personnel U.S.  » Juste avant de quitter le Bureau ovale pour le Texas, le 21 novembre, ayant lu un rapport sur les dernières pertes humaines, il répétait encore sa résolution à son Assistant Press Secretary Malcolm Kilduff : « Après mon retour du Texas, ça va changer. Il n’y a aucune raison que nous perdions encore un seul homme là-bas. Le Viêt Nam ne vaut pas une vie américaine de plus . »


Pendant ce temps, l’attitude de la CIA au Viêt Nam reflète la même volonté délibérée de sabotage de la politique présidentielle qu’à Cuba, avec les mêmes méthodes. En témoigne l’attentat à la bombe de Saïgon du 8 mai 1963, qui fit huit morts et quinze blessés parmi des moines bouddhistes manifestant contre l’oppression des bouddhistes par le président catholique Ngo Dinh Diem. La CIA accusa aussitôt Diem, « les éléments de preuve indiquant que les morts ont été causées par des tirs de canon du gouvernement . » Diem, pour sa part, accusa officiellement les Viêt-Cong. Mais son frère Ngo Dinh Can confia à un investigateur du journal catholique Hoa Binh qu’il était « convaincu que les explosions devaient être le fait d’un agent américain qui voulait causer des ennuis à Diem . » Il apparut en effet que l’explosion était due à du plastique de fabrication américaine. En 1970, le même journal obtint les aveux d’un certain Capitaine Scott de la CIA, qui décrivit le mode opératoire. Pourquoi cet acte criminel ? En 1963, la CIA avait décidé, avec la complicité de l’ambassadeur Henry Cabot Lodge, Républicain et ennemi héréditaire de Kennedy, de déstabiliser le gouvernement de Diem et de soutenir un putsch militaire. C’était contraire aux ordres explicites de Kennedy, qui misait sur la stabilité du pays et voulait donner toutes ses chances à Diem, qu’il avait assuré personnellement de son soutien. L’attentat de Saïgon contribua fortement à délégitimer Diem aux yeux de la population majoritairement bouddhiste, et la prépara à accepter ce qui allait suivre : le 30 octobre 1963, avec le feu vert de la CIA, quatre généraux prennent le pouvoir, arrêtent Diem, son frère et sa belle-sœur en leur promettant l’exil, puis les liquident par balles dans un camion. L’insubordination de la CIA avait atteint un point critique de non retour, l’assassinat de Diem étant comme un prélude à celui de Kennedy lui-même. Le sénateur George Smathers a été témoin de la réaction du Président en apprenant la mort de Diem : « Je dois faire quelque chose avec ces bâtard. […] il faut leur retirer leur pouvoir exorbitant . » Il parlait, bien évidemment, de la CIA.


Le 2 octobre 1963, Richard Starnes, correspondant du Washington Daily News à Saïgon, révélait l’insubordination de la CIA, qui Å“uvrait contre les directives du Président visant à stabiliser le Viêt Nam. « L’histoire du rôle de la CIA dans le Sud-Vietnam est une lamentable chronique d’arrogance bureaucratique, de mépris obtiné des ordres, et d’une soif sans limite de pouvoir. […] Ils représentent un pouvoir immense et une totale irresponsabilité . » L’enquête de Starnes fut citée le lendemain par Arthur Krock dans sa colonne quotidienne du New York Times, consacrée ce jour-là à « The Intra-Administration War in Vietnam ». Selon « une source américaine haut placée » citée par Krock mais non nommée, « le développement de la CIA est ‘comparable à une maladie’, que même la Maison Blanche ne contrôlait peut-être plus, selon le très haut responsable. […] Si les États-Unis sont un jour le théâtre d’un Seven Days in May, cela viendra de la CIA . » Krock est un ami de Kennedy, et il est probable que le « very high official » qu’il cite ne soit autre que Kennedy lui-même, qui aura voulu par là avertir le peuple américain de la menace qu’il sentait peser sur sa vie et sur la démocratie de son pays. La référence à Seven Days in May le confirme : il s’agit d’un thriller politique publié en 1962, qui raconte un coup d’État par un clan de militaires pour le contrôle de la Maison Blanche. Kennedy avait émis sur ce roman un avis bien connu dans son entourage : il trouvait le scénario crédible. « C’est possible. Ça pourrait se produire dans ce pays, avait-il dit. Si, par exemple, le pays avait un président jeune, et qu’il lui arrivait une ‘Baie des Cochons’ »,  puis une ou deux autres crises similaires. « Les militaires penseraient alors qu’il en va de leur devoir patriotique d’intervenir pour protéger l’intégrité de la nation, et Dieu sait quel segment de la démocratie ils défendraient s’ils renversaient l’appareil public élu . » Fin 1963, après s’être mis les généraux à dos plus de trois fois, Kennedy sentait la menace plus réelle que jamais, et il utilisa probablement ses contacts dans la presse pour sonner l’alerte. Selon Fletcher Prouty, qui servit comme Chief of Special Operations pour les Joint Chiefs of Staff sous Kennedy, la décision du Président de retirer tous les effectifs avant la fin 1965 « a peut-être constitué le point de rupture qui a engendré le climat où a été prise la décision d’éliminer le Président . »


Dès la mort de Kennedy, sa décision de retirer les troupes américaines du Viêt Nam allait être inversée. À peine installé dans le Bureau ovale, le 24 novembre, Johnson fit venir l’ambassadeur Henry Cabot Lodge pour lui annoncer : « Je ne vais pas perdre le Viêt Nam. Je ne serai pas le Président qui a laissé l’Asie du Sud-Est prendre le chemin de la Chine . » Le 26 novembre, le lendemain des funérailles de Kennedy, Johnson enterre la directive NSAM-263 et la remplace par une autre, NSAM-273, qui demande aux militaires d’élaborer un plan « pour que les États-Unis étendent la guerre au Nord, » incluant « plusieurs niveaux possible d’activité accrue » et « des opérations militaires jusqu’à 50 miles à l’intérieur du Laos , » ce qui violait les accords de Genève de 1962 sur la neutralité du Laos. La directive est expressément introduite comme étant conforme à la volonté du Président. Son ébauche (draft), répertoriée sous le code OPLAN-34A, est datée du 21 novembre, et indique : « Le Président a pris connaissance des discussions sur le Sud-Vietnam qui se sont tenues à Honolulu, et en a discuté plus longuement avec l’Ambassadeur Lodge . » La phrase est mensongère, puisque « the President », qui est encore Kennedy à cette date, n’a matériellement pas pu être informé des discussions de la conférence des Joint Chiefs of Staff qui s’est terminée à Honolulu le 21 novembre. Il s’agit donc d’un stratagème bureaucratique pour masquer le renversement de politique, stratagème qui révèle en réalité, si la date d’OPLAN-34A est authentique, le caractère prémédité du renversement de politique, et donc la prescience par les Joint Chiefs de la mort imminente du Président. Les ambiguïtés savamment ménagées dans la directive NSAM-273 seront levées par un mémorandum signé le 22 janvier 1964 par le général Maxwell Taylor : « NSAM-273 clarifie la résolution du Président d’assurer la victoire sur la rébellion communiste au Sud-Vietnam, dirigée et soutenue de l’extérieur. […] Pour ce faire, nous devons être prêts à tout niveau d’activité nécessaire . » Il n’est plus question d’arrêter la guerre, mais de la gagner à tout prix. Robert McNamara, demeuré secrétaire à la Défense, se plie aux attentes de Johnson et émet des recommandations incluant la mobilisation de 50 000 soldats et un programme de « pression militaire franche graduée » contre le Nord-Vietnam, que Johnson adopte par la directive NSAM-288 en mars 1964 . 

 

Il ne restait plus qu’à trouver un faux prétexte : ce sera, début août 1964, les prétendues torpilles lancées par les Nord-Vietnamiens contre les destroyers USS Maddox et USS Turner Joy dans le Golfe du Tonkin, une attaque reconnue plus tard comme « phantom attack », c’est-à-dire une erreur de radar, mais qui, amplifiée par la rhétorique, permit à Johnson de faire adopter par le Congrès, le 7 août 1964, la Résolution du Golfe du Tonkin qui lui donnait pleins pouvoirs pour envoyer jusqu’à 500 000 soldats au Nord-Vietnam. Johnson plongea alors le peuple vietnamien dans une décennie d’indicibles souffrances et le massacre de plus d’un million de civils. De 1965 à 1968, dans le cadre de l’opération Rolling Thunder autorisée par Johnson, plus de 643 000 tonnes de bombes furent larguées (trois fois plus que durant toute la Deuxième Guerre mondiale) sur un pays majoritairement rural. Jusqu’à la fin de la guerre, 500 000 soldats américains environ furent envoyés au Viêt Nam, et 50 000 y périrent. Les pertes vietnamiennes, majoritairement civiles, se chiffrent en millions.

"I should have listened to De Gaulle," dira Kennedy fin 1963, en se rappelant le conseil que lui avait donné le Général lors de leur entretient à Paris le 2 juin 1961, de quitter le Vietnam au plus vite. Immédiatement après l’assassinat de Kennedy, de Gaulle prédisait à son confident Alain Peyrefitte : "vous verrez. Tous ensembles, ils observeront la loi du silence. Ils se serreront les coudes. Ils feront tout pour étouffer le scandale. Ils jetteront le manteau de Noé sur ces turpitudes. Pour ne pas perdre la face devant le monde entier. Pour ne pas risquer de déchaîner des émeutes aux États-Unis. Pour sauver l’unité du pays et éviter une nouvelle guerre de Sécession. Pour n’avoir pas à se poser des questions à eux-mêmes. On ne veut pas savoir. On interdit aux autres de savoir. On se l’interdit à soi-même."

L’attentat à la voiture piégée devant l’Opéra de Saïgon, le 9 janvier 1952, contribua à justifier l’entrée en guerre des Etats-Unis au Vietnam. Ho Chi Minh fut tenu responsable, bien qu’il condamna l’attentat. Dans ses mémoires intitulées Ways of Escape, Graham Greene, journaliste et collaborateur de la CIA, suggère que le photographe du Life, qui immortalisa l’événement par cette photo prise quelques secondes après l’impact, avait été averti de l’attentat.Life était viscéralement anti-communiste et connu pour ses liens avec la CIA ; son édition précédente titrait "Indo-China is in danger" et appelait à l’intervention des États-Unis.

Seven Days in May est un thriller politique écrit par le journaliste politique Fletcher Knebel, d’après ses enquêtes auprès de certains généraux d’extrême droite, dont Curtis LeMay. Kennedy encouragea le réalisateur John Frankenheimer à adapter le roman au cinéma (après son adaptation de The Manchurian Candidate), lui promettant même l’accès à la Maison Blanche pour le tournage. Le président estimait que le peuple américain devait être prévenu du danger. Le film, joué par Burt Lancaster, Kirk Douglas et Ava Gardner, sortit en 1964.

"Why are we in Vietnam ?" Pour répondre à cette question, durant une conversation privée avec des journalistes, "LBJ unzipped his fly, drew out his substantial organ and declared, ‘This is why!’", selon le récit qu’en donna Arthur Goldberg au journaliste Robert Dallek (Flawed Giant, 2005). Kennedy exprimait sa libido autrement.

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

(comparaison et perspective)  

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​"Une pilule rouge pour Forrest Gump"​ â€‹â€‹ 

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