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Chapitre 21

La fracture de l'Irak

Selon des notes obtenues par David Martin, correspondant du National Security Council pour CBS News, cinq heures seulement après l’explosion au Pentagone, Donald Rumsfeld demandait à ses assistants réunis dans son National Military Command Center de lui fournir « d’urgence toute info » susceptibles d’impliquer l’Irak : « Jugez si ça suffit pour frapper Saddam Hussein en même temps, pas seulement Oussama ben Laden. Allez-y franchement. Cherchez partout, ce qui est lié ou pas . » Richard Clarke responsable du contre-terrorisme dans le National Security Council, a révélé dans son livre Against All Enemies que dès le 12 septembre, le président Bush en personne lui demanda de fournir les preuves d’un lien entre Saddam Hussein et les attaques. Lorsqu’il lui remit un rapport concluant qu’il n’y avait aucun lien, ce rapport lui fut retourné avec la mention « mettre à jour et soumettre à nouveau . » Dès les 19 et 20 septembre, Richard Perle réunit son Defense Policy Board en compagnie de quelques néoconservateurs comme Paul Wolfowitz et Bernard Lewis (inventeur avant Huntington de la prophétie auto-révélatrice du « choc des civilisations »), mais en l’absence de Colin Powell et de Condoleezza Rice. L’assemblée s’accorda sur le besoin de renverser Saddam Hussein dès la fin de la phase initiale de la guerre en Afghanistan. Ils préparent une lettre pour Bush, rédigée sous entête du PNAC et lui rappelant sa mission historique : « même si les preuves manquent d’un lien direct entre l’Irak et l’attaque, toute stratégie visant l’éradication du terrorisme et de ses sponsors doit inclure un effort déterminé pour renverser Saddam. Ne pas entreprendre cet effort reviendrait à abandonner de manière prématurée et peut-être décisive, la guerre contre le terrorisme international . » L’argument d’un lien entre Saddam et Al-Qaïda est ici relativisé et, dans l’été 2002, le président Bush et le premier ministre britannique Tony Blair se contenteront d’évoquer conjointement des « liens larges » (broad linkages) entre le régime de Saddam et Al-Qaïda. Perle, par contre, n’en démordra pas, affirmant, contre toute évidence, que Mohamed Atta, le prétendu meneur des terroristes du 11-Septembre, aurait rencontré le diplomate irakien Ahmed Khalil Ibrahim Samir à Prague en 1999. Le 8 septembre 2002 à Milan, Perle lâchera même ce scoop au quotidien italien Il Sole : « Mohammed Atta a rencontré Saddam Hussein à Baghdad avant le 11-Septembre. Nous en avons la preuve . » Il se gardera de répéter cette allégation ridicule aux États-Unis.


La rumeur d’un lien entre Saddam et Al-Qaïda est finalement abandonnée au profit d’un casus belli plus élaboré : la menace que ferait peser sur le monde le stock d’ « armes de destruction massive » détenu par Saddam. Pour faire passer cet autre mensonge, Cheney et Rumsfeld comptent sur le directeur de la CIA George Tenet. Mais celui-ci est réticent, car on sait parfaitement que Saddam ne dispose plus d’aucun armement, grâce notamment aux renseignements de son gendre Hussein Kamel, qui avait fuit l’Irak en 1995 après avoir été en charge de son industrie militaire. À la fin de l’été 2002, Cheney et Rumsfeld renouvellent la stratégie gagnante de Team B, consistant à doubler la CIA par une structure parallèle chargée de produire le rapport alarmiste dont ils ont besoin : cette structure sera l’Office of Special Plans (OSP), unité spéciale au sein du bureau Near Est and South Asia (NESA) du Pentagone. Surnommée « la Cabale », l’OSP est contrôlée par les néoconservateurs William Luti, Abram Shulsky, Douglas Feith et Paul Wolfowitz. Il fonde ses estimations sur les informations fournies par Ahmed Chalabi, un escroc irakien condamné à 22 ans de prison en Jordanie pour fraude banquaire et n’ayant jamais mis les pieds en Irak depuis 1956, à qui l’on fait miroiter une place au sommet de  l’État irakien après le renversement de Saddam. Le lieutenant-colonel Karen Kwiatkowski, qui travaillait pour le NESA à cette époque, témoigne en 2004 de l’incompétence des membres de l’OSP, qu’elle a vu « usurper des évaluations pesées et soigneusement considérées, et par des suppressions et distortions des analyses de renseignement, transmettre des mensonges au Congrès et au bureau exécutif du Président. […] C’était de la propagande créativement produite . » En septembre 2004, George Tenet est écarté de la CIA et remplacé par Porter Goss, un vétéran de la Baie des Cochons qui, se rend à Ankara en décembre 2005 pour préparer la Turquie à une future frappe aérienne contre l’Iran depuis son sol.


En septembre 2002, en préparation de la guerre, Bush signe le rapport National Security Strategy for the USA (NSS 2002) qui définit ce qu’on nommera la « doctrine Bush », mais qui n’est qu’une mise à jour de la « doctrine Wolfowitz » élaborée en 1992. Dans le but d’ « empêcher, contenir et limiter les efforts de nos ennemis d’acquérir des technologies dangereuses » dit ce document, « l’Amérique agira contre de telles menaces avant qu’elles soient pleinement formées . » Partant du principe que « notre meilleure défense est une bonne offensive » et que le 11-Septembre « ouvre des vastes et nouvelles opportunités »,  les auteurs recommandent d’ « entreprendre des actons anticipatrices pour nous défendre, même si des incertitudes demeures sur le lieu et l’endroit de l’attaque ennemie. Pour empêcher de tels actes hostiles par nos adversaires, les États-Unis agiront si nécessaire préemptivement . » Ainsi était préparée la justification d’une attaque « préemptive » contre l’Irak.


Le 7 octobre 2002, le président Bush adresse à la nation ce terrible message : « Saddam Hussein est un dictateur homicide qui est addict aux armes de destruction massive . » Il pourrait à tout moment « fournir une arme biologique ou chimique à des terroristes ou un groupe terroriste. Des alliances avec les terroristes pourraient permettre au régime irakien d’attaquer l’Amérique sans laisser d’empreinte . » Saddam posséderait d’ailleurs les avions et drones nécessaires pour « disperser des armes chimiques ou biologiques sur de vastes régions […], en ciblant les États-Unis . » Pire encore, « les preuves indiquent que l’Irak est en train de reconstituer son programme d’armes nucléaires  » Que faire ? « Si nous savons que Saddam Hussein a des armes dangereuses aujourd’hui, et nous le savons, est-ce qu’il y a un sens à attendre pour l’affronter qu’il devienne plus fort et développe des armes encore plus dangereuses  ? » Il y a urgence, car le régime irakien « pourrait avoir l’arme nucléaire dans moins d’un an. Et si nous laissons cela se produire, une ligne terrible sera franchie. Saddam Hussein serait en position […] de menacer l’Amérique et […] de transmettre une technologie nucléaire aux terroristes. En face d’indices clairs du péril, nous ne pouvons attendre la preuve finale, l’arme encore fumante qui pourrait se présenter sous la forme d’un champignon atomique . »


La rhétorique de Bush contre l’Irak lui est dictée par les néoconservateurs. L’Irak est depuis très longtemps la cible des néoconservateurs, qui n’ont cessé depuis la première guerre du Golfe de vilipender le régime de Saddam Hussein et d’appeler à son renversement. David Wurmser, par exemple, publie depuis les années 1990 des livres virulents contre les pays musulmans, parmi lesquels Tyranny’s Ally: America’s Failure to Defeat Saddam Hussein (1999). En 2000, l’American Enterprise Institute publie Study of Revenge: Saddam Hussein’s Unfinished War Against America, dont l’auteur, Laurie Mylroie, inclut dans ses « remerciements » Scooter Libby, David Wurmser, John Bolton, Michael Ledeen, et par-dessus tout Paul Wolfowitz et son épouse Clare Wolfowitz, membre elle aussi de l’AEI. Mylroie n’hésite pas à dénoncer Saddam Hussein comme le cerveau du terrorisme anti-américain, lui attribuant sans preuve l’attentat de 1993 contre le World Trade Center, l’attentat d’Oklahoma City en 1995 et l’attaque contre le USS Cole au Yémen en 2000. Ce qui menace les États-Unis serait selon elle « une guerre terroriste secrète, menée par Saddam Hussein, » le terrorisme anti-américain étant en réalité « une phase dans un conflit qui a commencé en août 1990, quand l’Irak à envahi le Koweit, et qui ne s’est pas achevée . » Richard Perle décrit ce livre comme « splendide et totalement convaincant . »


Le projet d’une attaque préemptive contre l’Irak, cependant, ne fait pas l’unanimité. Parmi les hommes influents qui, dans l’émotion du 11-Septembre, ont soutenu la guerre en Afghanistan sans s’inquiéter du manque de preuve contre Ben Laden, quelques-uns s’opposent à l’invasion de l’Irak. Même Brzezinski, qui avait implicitement appelé de ses vœux un nouveau Pearl Harbor, refuse de soutenir la guerre en Irak et la critiquera de plus en plus sévèrement. Bush père, bien entendu, y est opposé, mais reste discret. Au sein du gouvernement, c’est sur Colin Powell que repose l’espoir d’éviter une telle catastrophe. Powell avait clairement dit le 24 février 2001 que les sanctions contre l’Irak avaient suffi à l’empêcher de développer des armes de destruction massive. Pourtant, pour des raisons qui restent en partie inexpliquées, Powell finit par se prêter au jeu. Le 5 février 2003, il déclare devant l’Assemblée générale des Nations Unies qu’il n’y a aucun doute que Saddam Hussein possède des armes bactériologiques et qu’il cherche à produire des armes atomiques. En brandissant une fiole d’anthrax, il réactive puissamment le traumatisme des lettres contaminées d’octobre 2001 : « Il ne peut y avoir aucun doute que Saddam Hussein a des armes biologiques et la capacité d’en produire plus, beaucoup plus. Et il a la capacité de disperser ces poisons et ces maladies mortelles d’une façon qui peut causer des morts et des destructions massives . » Colin Powell a été National Security Advisor sous Reagan, Chairman des Joint Chiefs of Staff sous Bush père, et a conduit les troupes américaines à la victoire lors de la première guerre du Golfe ; sous soutien à la guerre en Irak aura un poids considérable.


L’assaut est lancé en mars 2003, selon la méthode Shock and Awe (« choc et stupeur ») ou Rapid Dominance, une stratégie dernier-cri chère à Rumsfeld, développée en 1996 par la National Defense University ; il s’agit d’écraser rapidement l’adversaire et briser sa volonté par l’emploi d’une très grande puissance de feu, afin de « paralyser l’ennemi ou surcharger tellement ses perceptions et sa compréhension des événements qu’il serait incapable de résistance sur le plan tactique et stratégique . » En mai 2003, Bush déclare un peu vite « Mission accomplished » en Irak. En réalité, ce qui devait être une guerre éclair s’avère un bourbier pire que le Viêt Nam. De plus, on ne trouve pas trace des « armes de destruction massive » de Saddam. Dès l’été 2003, de nombreuses critiques émergent contre les données truquées de l’OSP. En 2004, George Tenet est forcé de démissionner de la direction de la CIA pour sa caution — pourtant hésitante — à ces données truquées. Colin Powell quitte son poste en 2004 et cède la place à Condoleezza Rice, maintenant totalement alignée sur les néoconservateurs. Powell regrette publiquement son discours à l’ONU, tout comme son Chief of Staff, le colonel Lawrence Wilkerson, qui écrira en 2006 : « Ma participation à cette présentation aux Nations Unies constitue le point le plus bas de ma vie professionnelle. J’ai participé à une fraude contre le peuple américain, la communauté internationale et le Conseil de Sécurité des Nations Unies . »


C’est dans ce contexte qu’en mars 2006 le Congrès forme une commission bi-partisane, Iraq Study Group, très critique à l’égard des décisions du gouvernement et pessimiste sur l’évolution du conflit. Le groupe est présidé par James Baker, qui fut le directeur de campagne de Bush père, puis son chef de cabinet et secrétaire d’État (il s’était alors opposé avec succès aux néoconservateurs poussant à l’invasion de l’Irak en 1991). Y participe également Robert Gates, directeur de la CIA sous Bush père. L’Iraq Study Group est perçu à juste titre comme une tentative par le clan Bush de sauver l’héritage familial. En novembre de la même année, l’élection parlementaire de mi-mandat apporte une sévère sanction populaire contre la guerre et contraint Bush à renvoyer Donald Rumsfeld pour nommer à sa place Robert Gates. Cependant, le président reste sourd à l’opposition démocratique et aux conseils de sa famille politique d’origine. N’écoutant que son « Good Lord » et surtout ses conseillers néoconservateurs, il annonce en janvier 2007 le déploiement de 20 000 soldats supplémentaires, puis nomme en avril 2008 le général David Petraeus nouveau commandant de la coalition en Irak, avec mission de conduire un nouvel assaut (« the surge »), et un certain succès sur la diminution des attentats.


Étant admis que les armes de destruction massive de Saddam n’ont été qu’un mensonge fabriqué par les néoconservateurs et vendu au peuple américain par Bush, Cheney et Rumsfeld, quelle fut la véritable raison de l’invasion de l’Irak ? Au sein du 9/11 Truth Movement aussi bien que chez ses détracteurs, la réponse unanime semble être : le pétrole. Noam Chomsky l’estime si évidente qu’elle se passerait de démonstration : « Bien sûr que c’était les ressources énergétiques de l’Irak. La question ne se pose même pas . » Parmi les partisans de la thèse du pétrole se trouvent des écologistes. Mais il s’agit chez eux aussi d’une conviction intime qui se passe de preuves : « Je crois personnellement qu’il y a une relation profonde entre les événements du 11-Septembre et le pic pétrolier, mais ce n’est pas quelque-chose que je peux prouver . »  Ainsi s’exprime Richard Heinberg, spécialiste de la déplétion énergétique, dans le documentaire Oil, Smoke and Mirrors.


Le problème est qu’il n’existe aucune indication que le lobby du pétrole ait encouragé l’intervention militaire en Irak. Les compagnies pétrolières n’étaient pas opposées à un changement de régime, et elles espéraient évidemment profiter en 2003 de la privatisation et redistribution des concessions d’exploitation par les Production-Sharing Agreements (bien que leur déception fut grande en constatant l’état des infrastructures et la résistance des irakiens à se laisser dépouiller). Mais ce qu’elles demandaient était surtout la levée des sanctions qui leur interdisaient de traiter avec l’Irak de Saddam. C’est aussi ce qu’elles demandent pour l’Iran.


Les tenants de la thèse du pétrole mettent en avant la compagnie Halliburton, qui a doublé son chiffre d’affaire en devenant le plus important contractant privé travaillant pour les forces américaines en Irak. Ils ont raison d’accuser Dick Cheney de s’être enrichi personnellement de quelques 50 millions de dollars en favorisant Halliburton, après en avoir été PDG de 1995 à 2000. Cependant, l’enrichissement d’Halliburton et de Cheney en Irak n’a rien à voir avec une stratégie nationale de contrôle des ressources. Halliburton n’est d’ailleurs pas une société d’exploitation, mais une société d’ingénierie civile, qui fournit des services aux entreprises d’exploitation pétrolière, mais aussi aux armées. Enfin, dans les années 1990, Halliburton, sous la direction de Cheney, avaient plaidé pour la levée des sanctions en Irak, Iran et Libye, et avait même été condamnée à 3,8 millions d’amende pour les avoir contournées. Oui, Dick Cheney a du sang sur son compte en banque. Et il n’est pas le seul. Mais la nation américaine dans son ensemble n’a rien gagné à la guerre en Irak, qui a ruiné ce qui restait de l’économie de ce pays et a coûté à l’État américain la bagatelle de 3 trillards (trois mille milliards) de dollars. Quant aux requins du pétrole que sont les Bush, rien n’indique qu’ils se soient personnellement enrichis. Il est même certain que l’agressivité des néoconservateurs contre l’Arabie saoudite a nui à leurs intérêts. Non, le pétrole n’explique pas la guerre en Irak, pas plus qu’il n’explique la guerre en Afghanistan, pas plus qu’il n’explique la guerre programmée contre l’Iran.

Le 5 février 2003, le Secrétaire d’État Colin Powell engage sa réputation en brandissant un tube d’anthrax dans l’espoir de convaincre l’Assemblée générale des Nations Unies de la menace que représentent les Armes de Destruction Massives de Saddam Hussein. Powell regrettera publiquement ce discours, le qualifiant de "une tache sur mon parcours" (a blot on my record), et accusant la CIA et le Pentagone de l’avoir trompé.

Paul Wolfowitz, nommé « le parrain de la guerre d’Irak » par Time Magazine. Et « la voix de faucon la plus pro-Israël de l’administration Bush  » par le quotidien juif The Forward. Il est l’inventeur en 1992 de la « guerre préemptive », qui deviendra en 2001 la « doctrine Bush ».

En 1983, Rumsfeld était l'envoyé spécial du président à Bagdad pour négocier avec Saddam Hussein le rétablissement des relations diplomatiques et économiques)

Franco Fracassi résume ainsi la thèse de son film One. Enquête sur Al-Qaïda : « Résumons : une partie des milliards de dollars de la maison royale saoudienne finit dans les poches des terroristes du 11-Septembre par le biais d’une banque italienne dirigée par un nazi suisse converti à l’Islam qui travaillait pour la CIA, et par le biais d’une multitude de petites sociétés de Houston, capitale de l’énergie, toutes liées à Enron, le colosse de l’énergie qui a fait faillite en 2001, et qui était lié à la famille Bush.» De quoi se demander si le but n'est pas de brouiller les pistes.

Kren Kwiatkowski, lieutenant-colonel démissionnaire de l'Air Force, whistleblower sur les manipulations du Renseignement par l'OSP. (extrait du documentaire Why we Fight)

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

(comparaison et perspective)  

​

​"Une pilule rouge pour Forrest Gump"​ â€‹â€‹ 

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