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Chapitre 12

George Bush de la CIA

George H.W. Bush ne restera qu’un an à la tête de la CIA, mais sous sa direction la CIA opère une profonde mutation, qui aura pour effet de la soustraire davantage à la supervision du Congrès. De plus, le pouvoir de l’Agence se voit renforcé par un ordre exécutif de Ford qui réorganise la communauté du Renseignement en augmentant l’autorité de la CIA sur toutes les autres agences de Renseignement militaire, ce qui place la CIA au-dessus du Pentagone dans ce domaine. Après Bush, les mesures d’assainissement et de surveillance de la CIA entamées par son prédécesseur William Colby sont reprises par son successeur Stanfield Turner (nommé par Carter en 1976), qui débarrasse à son tour la CIA de 600 agents engagés dans des actions clandestines. Toutes ces mesures combinées vont avoir plusieurs effets. D’une part, la surveillance et les limites auxquelles est désormais soumise la CIA pour ses opérations clandestines à l’étranger vont tendre à faire migrer une partie de ces opérations directement sous le commandement du National Security Council. C’est ce qu’illustre sous Carter la collaboration entre le National Security Advisor Zbigniew Brzezinski et son assistant Robert Gates, un vétéran de la CIA qui y retournera comme directeur sous le président suivant. D’autre part, le fait de renvoyer des agents de la CIA n’a pas nécessairement pour effet de stopper leurs activités secrètes, ni même leurs liens avec l’Agence, mais leur fournit parfois une couverture pour continuer ces activités dans une obscurité accrue. Il apparaîtra, sous la vice-présidence de Bush, que celui-ci a conservé  des liens étroits avec certains de ses collaborateurs à la CIA licenciés par Turner, auxquels il fait appel pour les opérations secrètes et illégales en Amérique centrale. Enfin, pour échapper à la surveillance du Congrès, les activités illégales de la CIA vont être en partie sous-traitées à des services secrets ou militaires étrangers, et s’autofinancer par le trafic d’armes et de drogue. C’est cette ramification internationale et cette plongée dans la criminalisation qui caractériseront les opérations spéciales à partir des années 1980, avec l’arrivée de George Bush à la Maison Blanche, d’abord comme vice-président de Ronald Reagan, puis comme président.


Mais un retour en arrière s’impose au préalable, pour tenter de répondre à la question : Qui est ce George H. W. Bush propulsé à la tête de la CIA en 1976 ? Contrairement à Johnson et Nixon, tous deux d’origines modestes, George Bush est issu d’une famille introduite depuis deux générations dans les hautes sphères politiques et économiques. La saga des Bush est inséparable de celle des Harriman, elle-même associée aux Rockefeller depuis la prise de contrôle de l’Union Pacific Railroad par Edward H. Harriman en 1898 (déclaré « citoyen indésirable » par Theodore Roosevelt et condamné en 1904 dans le cadre des lois anti-trust). C’est grâce à l’entrée en guerre des États-Unis en 1917 que Samuel Bush, responsable de l’approvisionnement en petites armes au War Industries Board, se rend d’abord utile à Percy Rockefeller, propriétaire de la Remington Arms. En 1919, ce dernier l’introduit dans la banque Harriman & Co fondée par Averell Harriman. Prescot Bush, fils de Samuel, rejoint à son tour Harriman & Co une fois diplômé de Yale et initié dans sa société secrète Skull and Bones, dans la même promotion que Roland Harriman, frère d’Averell. En 1921, Prescot épouse la fille du président d’Harriman & Co George Herbert Walker (membre de Skull and Bones) et, trois ans plus tard, baptise son premier fils George Herbert Walker Bush. En 1926, il devient vice-président d’Harriman & Co. En 1928, Harriman & Co rachète Dresser Industries, une entreprise de matériel d’exploitation pétrolière puis, peu après la crise boursière de 1929, fusionne avec la banque Brown Brothers pour former Brown Brothers Harriman (dont les frères Dulles seront plus tard les avocats). Prescot Bush intègre Dresser, qui devient une force émergente du complexe militaro-industriel dans les années 1930 en rachetant plusieurs compagnies d’armement. Son fils George H.W. rejoint lui aussi Dresser à sa sortie de Yale et de Skull and Bones en 1948. Lorsque Dresser installe son quartier général à Dallas en 1950, les rennes de la société sont confiés à un autre initié de Skull and Bones, Neil Mallon, qui prend George sous son aile. George nommera son premier fils Neil Mallon Bush. En 1954, George se lance dans l’exploitation pétrolière en créant à Houston l’entreprise Zapata Offshore, qui construit des plateformes de forage dans les Caraïbes.


La famille Bush appartient donc à l’aristocratie capitaliste américaine, héritière de ces robber barons apparus à la fin du XIXe siècle grâce aux industries des transports, du pétrole et de l’armement, associées à la banque. Mieux encore que les Harriman et les Rockefeller, mieux même que les Dulles, les Bush ont réussi la fusion entre la finance et la politique, entre Wall Street et Washington. Ils illustrent également l’influence de la société initiatique Skull and Bones, dont les membres, exclusivement WASP, sont influents dans d’autres réseaux semi-secrets tels que le Groupe Bilderberg. Enfin, les Bush incarnent les tendances anti-démocratiques de ces quelques centaines de familles hyper-riches. Dans les années 1930, Prescot Bush est opposé au New Deal de Franklin Roosevelt et séduit par l’idéologie fasciste. La Union Banking Corporation, filiale de Harriman & Co que Prescot codirige avec son beau-père George Herbert Walker, est saisie en 1942 par le gouvernement de Roosevelt dans le cadre du Trading with the Enemy Act, pour ses liens avec Fritz Thyssen, le principal financier du réarmement du Troisième Reich (qui s’en vantera dans son livre I Paid Hitler). Avec une histoire familiale aussi peu reluisante, George H.W. Bush n’aurait probablement jamais pu devenir président sans passer au préalable sous le radar démocratique, par le poste de vice-président.


En plus de son appartenance au supramonde de la haute finance, George Bush incarne un autre aspect de la politique américaine d’après-guerre : son lien avec l’inframonde du Renseignement et de la CIA en particulier. Avant de devenir vice-président de Reagan en 1984, Bush a été directeur de la CIA durant la brève présidence de Gerald Ford, comme on l’a vu. Pour obtenir ce poste, il jura devant le Congrès n’avoir jamais travaillé auparavant pour la CIA. Il mentait : une note rédigée le 29 novembre 1963 par Edgar Hoover et portant comme objet « Assassination of President Kennedy » mentionne qu’un certain « Mr. George Bush of the Central Intelligence Agency » a été informé oralement du risque que présentait « un certain groupe anti-Castro égaré qui voudrait profiter de la présente situation et entreprendre un raid non autorisé contre Cuba, croyant que l’assassinat du Président John F. Kennedy pourrait annoncer un changement dans la politique américaine . » Le « groupe anti-Castro » en question est très probablement le Directorio Revolucionario Estudiantil (DRE), ou un autre groupe armé par la CIA. Bien que George H.W. Bush, confronté à cette note en 1985, nia être le « George Bush » mentionné, il existe d’autres indices de sa collaboration secrète avec la CIA depuis 1953. On suppose qu’il y a été introduit par Neil Mallon, qu’il considérait comme son « favorite uncle » ; selon une lettre de son père Prescott Bush du 26 mars 1953, Mallon rendait alors des services à la CIA, « spécialement dans le recrutement d’individus pour servir dans cette agence importante . » George Bush avait par ailleurs pour associé dans sa société Zapata un certain Thomas Devine, décrit dans un rapport interne à la CIA de 1975 (déclassifié en 1996) comme « un ancien employé du personnel de la CIA . » Il semblerait que Zapata Offshore ait été instrumentale dans la préparation du débarquement dans la Baie des Cochons ⎯ précisément dans la Péninsule de Zapata ⎯,  Bush contribuant au recrutement et au financement d’Operation 40, avec un autre industriel texan du pétrole nommé Jack Crichton. Il travaillait alors en liaison avec Felix Rodriguez, officier cubain très impliqué dans la Baie des Cochons.


Bien que George Bush senior ait toujours affirmé sa foi dans les conclusions de la Commission Warren, il n’était certainement pas dupe de cette fable. Il avait 38 ans lorsque Kennedy fut assassiné. Il avait tout juste lancé sa première campagne pour le Sénat, en attaquant violemment la politique de Kennedy et réclamant « une nouvelle invasion de Cuba par le gouvernement en exil . » Curieusement, tout comme Johnson et Nixon, il se trouvait à Dallas le matin du 22 novembre 1963, après avoir participé la veille à une réunion tardive de l’American Association of Oil Drilling Contractors à l’hôtel Sheraton-Dallas, où étaient également logés les membres du Secret Service. Or à 1 h 45, soit une heure et quart après l’assassinat de Kennedy, Bush fit quelque chose d’étrange : il passa un appel téléphonique au FBI en prétendant se trouver alors à Tyler (à 150 km de Dallas). Son appel a été immédiatement consigné dans un mémot (déclassifié en 1993, mais déjà divulgué par le San Francisco Examiner en 1988), qui dit que « Mr GEORGE H.W. BUSH, President of the Zapata Off-shore Drilling Company, Houston, Texas », appelait ⎯ en demandant que son appel « soit gardé confidentiel » ⎯ pour signaler qu’il avait entendu dire qu’un certain James Parrott « avait parlé de tuer le Président . » Le mémo conclut : « BUSH a déclaré qu’il se rendait à Dallas, Texas, qu’il resterait à l’hôtel Sheraton-Dallas et qu’il regagnerait sa résidence le 23 novembre . » Parrot, un jeune militant inoffensif du club Républicain d’Houston que fréquentait Bush, fut rapidement mis hors de cause. Il est difficile de résister à l’hypothèse que l’objet véritable de l’appel téléphonique de Bush était de se donner un alibi. Selon l’investigateur Russ Baker : « En disant au FBI qu’il prévoyait de se rendre à Dallas, il laissait derrière lui une trace trompeuse suggérant que son escalle à Dallas n’aurait lieu que plusieurs heures après l’assassinat de Kennedy, plutôt que quelques heures avant . » Qu’avait-il à cacher ? Savait-il la CIA impliquée dans l’assassinat, et craignait-il d’être soupçonné en tant qu’agent de la CIA connecté à l’un des groupes anti-Castro les plus hostiles à Kennedy ? Connaissant le mode opératoire de l’Agence, savait-il qu’on allait bientôt désigner un faux coupable, et craignait-il d’avoir été choisi pour ce rôle ? Nous en sommes réduits à des hypothèses.


Dernier élément troublant reliant George H. W. Bush à l’assassinat de Kennedy : une lettre que lui adresse George De Mohrenschildt le 5 septembre 1976, alors qu’il est directeur de la CIA. De Mohrenschildt se sent harcelé depuis qu’il a envoyé au journaliste danois Willem Oltmans quelques pages de sa biographie, et il s’en explique à Georges Bush, à qui il a déjà écrit une première fois en signant : « Your old friend G. DeMohrenschildt » : « Cher George, vous excuserez cette lettre manuscrite. Peut-être serez-vous en mesure d’apporter une solution à la situation désespérée dans laquelle je me trouve. Ma femme et moi nous trouvons entourés de surveillants ; notre téléphone est mis sur écoute ; et nous sommes suivis partout. […] Cette situation nous rend fous. Je me suis conduit comme un idiot depuis que notre fille Nadya est morte de fibrose cystique il y a trois ans. J’ai essayé d’écrire, de manière stupide et sans succès, au sujet de Lee H. Oswald and j’ai dû mettre beaucoup de gens en colère — je ne sais pas. Mais punir une personne âgée comme moi et ma femme extrêmement sensible est vraiment trop. Pourriez-vous faire quelque-chose pour ôter ce filet autour de nous ? C’est ma dernière demande d’aide et je ne vous ennuierai pas davantage . » Deux mois plus tard, De Mohrenschildt était admis à l’hôpital psychiatrique, et six mois plus tard, en mars 1977, il était retrouvé mort à son bureau d’une balle dans la tête, le jour même où un enquêteur du HSCA prenait contact avec lui.

Le mémo du 29 novembre 1963, signé par Edgar Hoover, évoquant « Mr. George Bush of the Central Intelligence Agency »,  découvert en 1985 par le journaliste Joseph McBride

Nixon est une créature de Wall Street et un protégé de Prescott Bush. Il aurait volontiers marié sa fille Tricia à George W. Bush, petit-fils de Prescott, qu’il invita à la rencontrer à Washington en jet présidentiel début 1969. Prescott en voudra cependant à Nixon de n’avoir pas intégré son fils George H. W. dans son équipe, et certains investigateurs pensent qu’il n’est pas étranger à la chute de Nixon. Il avait en effet la rancune tenace. Dans sa lettre de condoléances à la veuve d’Allen Dulles en janvier 1969, il écrit au sujet des Kennedy : "Je ne leur ai jamais pardonné."

George H.W. Bush est pris d’un rire nerveux en réaffirmant la thèse du tireur solitaire durant son éloge funèbre de Gerald Ford le 2 janvier 2007, reproduit en ces termes dans le New York Times : « Après qu’un tireur cinglé ait assassiné le Président Kennedy [Bush rit !], notre nation s’est tournée vers Gerald Ford et une poignée d’hommes choisis pour expliquer cette folie. Et les théoriciens du complot peuvent dire ce qu’ils veulent, mais le rapport de la Commission Warren aura toujours le dernier mot sur cette affaire tragique . »

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

(comparaison et perspective)  

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​"Une pilule rouge pour Forrest Gump"​ â€‹â€‹ 

« Le mot même de "secret" est répugnant à une société  libre et ouverte; et nous sommes, en tant que peuple, fondamentalement et historiquement opposés aux sociétés secrètes, aux serments secrets et aux réunions secrètes » a déclaré Kennedy dans un discours énigmatique le 27 avril 1961 devant l'American Newspaper Publishers Association.

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