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Chapitre 20

Anatomie de l'Etat profond

À la surface de l’État se trouve le président George W. Bush. « Si on m’avait demandé de nommer 25 millions de personnes qui pourraient un jour devenir president des États-Unis, il n’aurait probablement pas été dans la liste , » a dit de lui David Rubinstein, fondateur du groupe Carlyle, qui l’avait admis dans son Conseil d’administration en 1998 par faveur pour son père. Comment un homme aussi notoirement superficiel et inculte a-t-il pu être élu à la tête du pays le plus puissant au monde ? L’une des réponses évidentes est qu’il est le fils de George H. W. Bush, qui en fin de compte a laissé le souvenir d’un président républicain plutôt raisonnable. Un fils de président, c’est un peu comme un vice-président : on lui accorde un crédit de confiance supérieur à tout autre candidat. On pouvait même supposer que Bush junior serait conseillé par son père. Grave erreur ! Bush junior n’a rien fait comme son père. Au  journaliste Bob Woodward qui voulait savoir s’il demandait conseil son père, il répondit en 2004 : « C’est-à-dire que… non. Ce n’est pas le bon père à qui demander conseil.  […] Il y a un père plus haut auquel je fais appel . » Son profil de born-again Christian racheté d’une vie de débauche est-il sincère, ou bien un numéro de storytelling enseigné par son conseiller en communication Karl Roven, surnommé Bush’s Brain ? Les avis sont partagés, mais le fait que l’évangéliste Billy Graham, à qui Bush attribue sa conversion, n’en ait pas souvenir, plaide pour la seconde hypothèse. Quoi qu’il en soit, la vraie conversion de Bush eut lieu le 11 septembre 2001, comme le résume le néoconservateur Michael Ledeen : « Il est devenu président, mais il ne savait pas pourquoi, et le 11 septembre, il a découvert pourquoi . » C’est alors en effet que Bush, qui a passé jusque-là 40% de son temps en vacances, trouve son personnage : « Mon administration à un travail à faire, et nous allons le faire : nous allons débarrasser le monde des méchants  » (16 septembre) ;  « Je veux que justice soit faite. Et il y a un vieux poster à l’Ouest, je me souviens, qui dit ‘Recherché, mort ou vif’  » (17 septembre).


Derrière le président Bush se tient le vice-président Dick Cheney qui, dit-on, s’est choisi lui-même pour ce poste après avoir dirigé la campagne victorieuse de Bush. Il fit de la vice-présidence une présidence occulte. Selon Bruce Fein, ancien assistant de l’Attorney General : « Dick Cheney exerce tous les pouvoirs de la présidence. Ça n’était encore jamais arrive. Jamais . » Selon ses biographes Lou Dubose et Jake Bernstein (Vice : Dick Cheney and the Hijacking of the American Presidency, 2006), Dick Cheney « est devenu le vice-président le plus puissant de tous ceux qui ont occupé ce poste, exerçant une autorité qui souvent surpasse celle du président . » Cheney ne fut pas seulement le plus puissant, mais aussi le plus secret : il a résisté avec succès contre toutes les exigences de transparence sous le prétexte que la vice-présidence n’est pas concernée par le Freedom of Information Act parce qu’elle n’est pas véritablement une branche de l’exécutif.


Cheney, chargé par Bush de composer l’équipe de transition, commença par imposer son mentor Donald Rumsfeld à la tête du Département de la Défense. Rumsfeld et Cheney forment un tandem inséparable depuis les années 70. Ils appartiennent à l’aile belliciste du parti Républicain : ils veulent une armée forte, sont unilatéralistes et ne croient pas au droit international. Ils s’étaient opposés sous Nixon à la politique de détente et de réduction des dépenses militaires de Henry Kissinger. Gerald Ford les avaient introduits à la Maison Blanche, en confiant le poste de Chief of Staff à Rumsfeld, qui s’était donné Cheney comme adjoint principal (Deputy). Ayant inspiré à Ford un nouveau remaniement connu sous le sobriquet journalistique de « Massacre d’Halloween », Rumsfeld s’était ensuite emparé du poste de Secrétaire à la Défense, tandis que Cheney prenait sa place comme Chief of Staff. Ainsi apparaissait pour la première fois la combinaison : Rumsfeld à la Défense, Cheney à la Maison Blanche. Puis, avec l’aide d’un des plus puissants lobbies jamais constitués, le Committee on the Present Danger, financé par des industriels de l’armement comme David Packard, Rumsfeld et Cheney avait persuadé le président Ford et son nouveau directeur de la CIA George H. W. Bush de nommer un comité indépendant, connu sous le nom de Team B, pour revoir les estimations de la CIA concernant la menace soviétique, qu’ils trouvaient trop rassurantes. Team B était composé de douze experts choisis parmi les partisans les plus fanatiques de la Guerre froide, comme le général Lyman Lemnitzer (le président des Joint Chiefs limogé par Kennedy) et Paul Nitze (l’auteur principal du document NSC-68 en 1950). Le comité produisit un rapport terrifiant qui prêtait à Moscou non seulement un arsenal nombreux et sophistiqué d’armes de destruction massive, mais aussi la volonté de dominer toute l’Europe et le Moyen Orient, au besoin par la guerre nucléaire. Invoquant une « fenêtre de vulnérabilité » dans la Défense états-unienne, le rapport prônait une large et urgente augmentation du budget de la Défense, qui se traduisit sous Carter et s’accéléra sous Reagan. Les historiens s’accordent aujourd’hui à admettre que les évaluations de Team B était malicieusement alarmistes : en réalité, l’URSS était déjà aux aboies.


Derrière Rusmfeld et Cheney — ou en-dessous, selon la métaphore des profondeurs — se trouvent le groupe des néoconservateurs, issus principalement de l’équipe du PNAC. Rumsfeld et Cheney entretiennent avec eux une relation symbiotique depuis les années 70 : les néoconservateurs, produisent l’idéologie à travers leurs nombreux think tanks comme l’American Enterprise Institute for Public Policy Research (AEI) ou encore le Hudson Institute, tandis que Rumsfeld et Cheney actionnent la machinerie politique. C’est à Richard Pipes et Paul Wolfowitz, deux protégés de Richard Perle, le « gourou » des néoconservateurs, que Rumsfeld et Cheney avaient confié la direction de Team B. Après la parenthèse Carter, les néoconservateurs jouèrent un rôle majeur dans l’élection de Ronald Reagan, qui les rétribua en nommant une douzaine d’entre eux à des postes touchant à la Sécurité nationale et la Politique extérieure : Richard Perle et Douglas Feith au Department of Defense, Richard Pipes au National Security Council, Paul Wolfowitz, Lewis « Scooter » Libby et Michael Ledeen au State Department. En accédant à la présidence, Bush père tentera de limiter l’influence de ceux qu’il nomme « the crazies », mais il sera forcé d’accorder le poste de Defense Secretary à Dick Cheney, qui s’entoure de Paul Wolfowitz et Scooter Libby. Ces deux derniers sont les auteurs d’un rapport secret du Defense Planning Guidance, fuité par le New York Times le 7 mars 1992, qui prône l’impérialisme, l’unilatéralisme et, si nécessaire, la guerre préemptive « afin de décourager des compétiteurs potentiels d’aspirer à un rôle régional ou global plus grand . » Avec l’aide d’un nouveau Committee for Peace and Security in the Gulf, co-présidé par Richard Perle, les néoconservateurs plaident, sans succès, pour le renversement de Saddam Hussein après l’opération Desert Storm au Koweit.


Durant la présidence du Démocrate Clinton, les néoconservateurs consolident leur alliance avec Rumsfeld et Cheney en créant en 1997 le think tank Project for the New American Century (PNAC), officiellement fondé par William Kristol et Robert Kagan. Puis, en 2000, Cheney et Rumsfeld les introduisent en grand nombre dans le gouvernement : Cheney se donne comme adjoint principal (Chief of Staff) Scooter Libby. David Frum, un proche de Richard Perle, devient le principal rédacteur des discours du président, tandis qu’Ari Fleischer, un autre néoconservateur, est secrétare de presse et porte-parole de la Maison Blanche. Cheney ne peut s’opposer à la nomination de Colin Powell comme Secrétaire d’État, mais il lui impose comme collaborateur John Bolton, Républicain d’extrême droite secondé par le néoconservateur David Wurmser. Cheney fait nommer comme National Security Advisor Condoleezza Rice, qui n’est pas à proprement parler néoconservatrice mais s’est attachée depuis des années l’un des néoconservateurs les plus agressifs, Philip Zelikow, comme conseiller pour le Moyen Orient et le terrorisme (Rice n’étant que spécialiste de l’Union soviétique et pianiste virtuose) ; pour conseiller Rice sont également recrutés William Luti et Elliot Abrams (tous deux simultanément assistants du président), tandis qu’Eliot Cohen lui sera adjoint lorsqu’elle remplacera Powell au Département d’État en 2007. Mais c’est tout particulièrement depuis le Département de la Défense, confié à Donald Rumsfeld, que les trois néoconservateurs les plus influents vont pouvoir modeler la politique étrangère : Paul Wolfowitz, Douglas Feith et Richard Perle, ce dernier occupant le poste crucial de directeur du Defense Policy Board, chargé de définir la stratégie militaire. Ainsi, tous les néoconservateurs se trouvent à la place qu’ils préfèrent, celle de conseillers et éminences grises des présidents et ministres.


La mise en accusation de l’Arabie saoudite, qui semble inscrite dans le scénario du 11-Septembre, est une caractéristique des néoconservateurs, pour ainsi dire leur signature. Dès les attaques du 11-Septembre, c’est David Wurmser qui ouvre les hostilités dans le Weekly Standard avec un article intitulé « The Saudi Connection » prétendant que la famille royale est derrière l’attentat. Le Hudson Institute, l’un des bastions des néoconservateurs, mène depuis longtemps une virulente campagne de diabolisation de la dynastie saoudienne, sous la houlette de son co-fondateur Max Singer (aujourd’hui directeur de recherche au Institute for Zionist Strategies à Jérusalem). En juin 2002, l’Institut sponsorise un séminaire intitulé « Discourses on Democracy: Saudi Arabia, Friend or Foe? », où toutes les interventions suggérent que foe (« ennemi ») est la bonne réponse. Un événement spécial salue la sortie du livre Hatred’s Kingdom: How Saudi Arabia Supports the New Global Terrorism, de l’Israélien Dore Gold, qui a été conseiller de Netanyahou et Sharon et ambassadeur d’Israël aux Nations Unies. Le 10 juillet 2002, le néoconservateur franco-américain Laurent Murawiec, membre du Hudson Institute et du Committee on the Present Danger, intervient devant le Defense Policy Board de Richard Perle pour expliquer que l’Arabie saoudite représente « le noyau du mal, le centre énergétique, l’ennemi le plus dangereux , » et recommander que les États-Unis l’envahissent, l’occupent et le morcellent. Il résume sa « Grand Strategy for the Middle East » par ces mots : « L’Irak est le pivot tactique. L’Arabie saoudite est le pivot stratégique. L’Egypte est la récompense . » Murawiec est l’auteur de plusieurs ouvrages de diabolisation des Saoud, dont Princes of Darkness: the Saudi Assault on the West (2005). Le résumé d’éditeur de son livre français La Guerre d’Après mérite d’être cité : « Le royaume a protégé pendant des années Ben Laden, formé d’ailleurs à l’origine par une unité spéciale de la CIA. La dynastie des Saoudiens a financé en connaissance de cause le terrorisme en soutenant des centaines d’organismes islamiques soi-disant humanitaires. Le pouvoir royal a réussi au fil des ans à infiltrer des agents d’influence au plus haut niveau de l’administration américaine et à organiser un efficace lobby intellectuel qui contrôle désormais plusieurs universités du pays parmi les plus prestigieuses. » 


Bien qu’omniprésents dans le gouvernement Bush, les néoconservateurs sont, en fait, les principaux inspirateurs de la contestation soft du 11-Septembre, représentée en France par le journaliste Éric Laurent (La Face cachée du 11 Septembre, 2004), qui admet la responsabilité d’Al-Qaïda mais concentre ses recherches sur les liens entre les Bush, les Saoud et les Ben Laden. Dans leur livre paru en 2003, An End to Evil: How to Win the War on Terror, Richard Perle, l’éminence grise du Pentagone, et David Frum, le propre speech-writer du président Bush, affirment que « Les Saoudiens se qualifient comme membres de l’axe du mal » et implorent le président Bush de « dire la vérité sur l’Arabie saoudite , » à savoir que les princes saoudiens financent Al-Qaïda.


Pour comprendre l’inanité d’une telle accusation, il suffit de savoir que les Saoud ont déchu Oussama Ben Laden de sa nationalité en avril 1994, exaspéré par ses accusations incessantes contre la présence militaire américaine qu’ils tolèrent sur le lieu saint de l’islam depuis la première Guerre du Golfe. Dans une Declaration of War Against the Americans Occupying the Land of the Two Holy Places, diffusée en 1996, Ben Laden appelle au renversement de la monarchie saoudienne et, en 1998, il admet son rôle dans l’attentat du 13 novembre 1995 contre le quartier général de la Garde Nationale à Riyad. Oussama Ben Laden est l’ennemi juré des Saoud. Il est inimaginable que les Saoud aient comploté avec Oussama Ben Laden contre les États-Unis ; en revanche, il est plausible qu’ils aient comploté contre Ben Laden avec leurs amis Bush, en lui mettant faussement un attentat sur le dos pour lancer l’armée américaine à ses trousses et, du même coup, liquider le régime Taliban pour le compte d’UNOCAL. Tout porte donc à croire que le président Bush a trempé dans le complot, mais qu’il a été doublé et sert depuis de bouclier humain à un autre clan, dont les objectifs vont bien au-delà de Ben Laden, l’Afghanistan et le pétrole. La situation dans laquelle se trouvait le Président au moment des attentats — écoutant des élèves lui lire The Pet Goat dans une école primaire en Floride — montre bien qu’il a été écarté sciemment du contrôle des opérations. Et sa mise en accusation aux côtés des Saoudiens montrent qu’il est maintenant l’otage de ses co-comploteurs. Qu’ont-ils obtenu de lui par leur chantage ? L’invasion de l’Irak.

Le 10 septembre, Donald Rumsfeld révèle qu'il manque 2,3 trilliards 2,3 trillions (2300 milliards) de dollars dans les comptes du Pentagone. Une enquête aurait pu être diligentée sur cette fâcheuse disparition si par malchance les bureaux comptables du Pentagone n’avaient pas été détruits par « Al-Qaïda » le lendemain matin. En effet, plutôt que de frapper le centre de commandement sur la façade est du Pentagone, les pirates de l’air ont préféré, au prix d’une périlleuse spirale descendante de 180°, de frapper la façade ouest du bâtiment, récemment renforcée et peu occupée ce jour-là.

John Bolton est un impérialiste unilatéraliste, qui a déclaré en 1994 : « Les Nations Unies n’existent pas. La seule chose qui existe, c’est la communauté internationale, qui ne peut être menée que par la seule superpuissance restante, c’est-à-dire les États-Unis . » En 2005, pour punir l’ONU de s’être opposé à l’intervention en Irak, le président Bush le nomme ambassadeur au Nations Unies, mais sa nomination sera rejetée un an plus tard.

À quoi pensait George W. Bush durant ces interminables dix minutes qui séparent le moment où il apprend le premier crash et celui où il quitte la salle de classe, minutes rendues fameuse par le film de Michael Moore, Farenheit 9/11 ? « Why the f... did Cheney send me here? »

L’American Enterprise Institute for Public Policy Research (AEI), fondé en 1943 par des affairistes opposés au New Deal de Roosevelt, fut investi dans les années 70 par les néoconservateurs, qui décuplèrent son budget. Quelques semaines avant de lancer l’assaut sur l’Irak, le président Bush leur rendit hommage : « À l’AEI travaillent certains des plus brillants esprits de notre pays, sur les plus grands défis de notre nation. Vous faites un travail tellement bon que mon administration a emprunté une vingtaines de ces esprits. »

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

(comparaison et perspective)  

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​"Une pilule rouge pour Forrest Gump"​ â€‹â€‹ 

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