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Chapitre 11

Richard Nixon et Gerald Ford

Huit ans comme vice-président de Dwight Eisenhower avaient fait de Nixon le candidat naturel des Républicains en 1960, même si Eisenhower, interrogé par un journaliste, se déclara incapable de citer une seule bonne idée qu’il lui aurait empruntée en huit ans de présidence : « Si vous me donnez une semaine, je me souviendrai peut-être d’une . » Nixon lui-même confia plus tard à Bob Haldeman : « J’ai dû voir Dwight Eisenhower seul six fois durant tout le deal  ». Nixon s’était en fait surtout intéressé aux opérations clandestines de la CIA. En apprenant sa victoire sur Nixon, qu’il connaissait depuis leurs débuts en politique, Kennedy fit ce commentaire à un ami : « Si je ne fais rien d’autre pour ce pays, au moins je les aurais sauvé de Dick Nixon.  » Il ne pouvait se douter que Nixon reviendrait en 1968, et qu’il l’emporterait cette fois en profitant de l’assassinat de son frère Robert Kennedy. L’histoire se répétait cruellement, l’assassinat de deux Kennedy donnant successivement le pouvoir à deux hommes aux caractères dangereusement troublés, dont les noms resteront associés à la démence du Viêt Nam. Tandis que Johnson fut le premier président forcé pour cause d’impopularité de renoncer à un briguer un second mandat, Nixon, qui gagnera le surnom de Tricky Dick, fut le seul président à démissionner sur fond de scandale dans toute l’histoire des États-Unis. Les commissions d’enquête sur le Watergate révélèrent au public sa paranoïa, son hypocrisie et son cynisme. Après sa démission, son psychiatre depuis 1952, le docteur Arnold Hutschnecker, sortit de sa réserve pour demander dans un article du New York Times que les candidats à la présidence soient à l’avenir soumis à une expertise psychiatrique.


Nixon, qui se trouvait à Dallas au matin du 22 novembre 1963 pour la convention des fabriquants de soda chapeautée par son client Pepsi Cola, est indirectement relié à l’assassinat de John Kennedy par un certain nombre de contacts suspects. Un mémo du FBI daté du 24 novembre 1947 et récemment déclassifié informe un comité parlementaire enquêtant sur le crime organisé que « un certain Jack Rubenstein de Chicago […] remplit des fonctions d’information pour le personnel du député Richard Nixon, Républicain de Californie. Il est demandé que Rubenstein ne soit pas auditionné publiquement en tant que témoin dans les auditions susmentionnées . » Peu après, Rubenstein s’installa à Dallas et raccourcit son nom en Ruby.


Nixon n’a pas de responsabilité directe dans le crime de Dallas, mais il savait à quoi s’en tenir. Après tout, son vice-président Gerald Ford, celui qu’il avait nommé en 1973 pour s’assurer avant sa démission d’un « pardon complet, total et absolu », avait été membre de la Commission Warren, c’est-à-dire dans les coulisses du cover-up du crime de Dallas. Cependant, Nixon ne savait pas tout et n’avait aucun dossier sensible sur cette affaire. Il convoitait au contraire ces informations, si précieuses pour le pouvoir qu’elles confèrent. L’homme à qui il tenta de les arracher était Richard Helms, que Johnson avait promu à la tête de la CIA en 1966. Dès son élection en 1968, Nixon engagea avec lui un bras de fer pour obtenir la totalité du dossier secret. Quatre ans plus tard, n’ayant rien obtenu, il se trouva mis en accusation par la presse après l’arrestation de cinq « cambrioleurs » au quartier-général du parti démocrate, menés par un membre du Committee for the Re-Election of the President (CREEP) et incluant quatre anciens de la CIA et de la Baie des Cochons, dont Frank Sturgis et trois exilés cubains. Howard Hunt, lui aussi un vétéran de la CIA et de la Baie des Cochons, fut rapidement identifié comme l’un des organisateurs de l’opération et inculpé. Nixon soupçonna Helms de l’avoir piégé, comme il le confia au journaliste Frank Gannon en 1983 et le répéta discrètement dans ses mémoires : l’opération était si peu professionnelle qu’ « on aurait presque dit un coup monté . » Nixon joua alors son va-tout contre Helms en chargeant son Directeur de Cabinet (Chief Aid) Bob Haldeman de lui dire que, « si ça sort […], ça peut faire exploser toute l’affaire de la Baie des Cochons, ce qui serait très dommageable pour la CIA . » Haldeman est convaincu, comme d’autres assistants de Nixon, que la « Baie des Cochons » était entre Helms et Nixon un terme codé : « dans toutes ses références à la Baie des Cochons, Nixon parlait en réalité à l’assassinat de Kennedy . » Il apparaît donc que Nixon menaçait Helms de révéler l’implication de la CIA dans l’assassinat de Kennedy. Mais il n’en avait probablement pas les moyens. Helms ne céda pas et fut évincé en 1972, mais Nixon, piégé par ses propres systèmes d’écoutes dans le Bureau ovale, tomba à son tour deux ans plus tard.


Le scandale du Watergate passe encore aujourd’hui pour la preuve de l’indépendance des médias américains et de leur efficacité comme contre-pouvoir démocratique. La Commission Church a pourtant démontré que, depuis les débuts de l’Opération Mockingbird vingt ans plus tôt, la CIA avait accumulé un pouvoir occulte considérable sur les médias, à travers un réseau de taupes installées à tous les échelons, du journaliste à l’éditeur. Bob Woodward, le journaliste par qui le scandale éclata dans la presse, a un parcours plutôt curieux : il fut embauché par le Washington Post sur une recommandation gouvernementale, relayée par le président du Washington Post lui-même, qui n’était autre que l’ancien Navy Secretary du président Johnson, Paul Ignatius. Il n’avait aucune expérience dans le journalisme mais, après ses études à Yale, avait travaillé cinq ans pour la Navy dans le secteur des communications, avec une « habilitation de sécurité ‘très-secret’ » (top-secret security clearance). C’est Woodward qui établit le lien entre l’infraction au Watergate et l’équipe du CREEP de Nixon en révélant qu’un des cambrioleurs cubains avait sur lui un chèque signé par Hunt, qui était alors consultant pour le Conseiller juridique de la Maison Blanche (White House Counsel) Charles Colson. Woodward n’a jamais révélé le nom de son informateur, connu sous le sobriquet Deep Throat, mais certains soupçonnent Richard Helms d’être à l’origine des fuites, et de l’opération bâclée elle-même.


Nixon avait été élu en 1968 sur l’impression qu’il avait un plan secret pour terminer la guerre : « Si en novembre cette guerre n’est pas finie, déclara-t-il en campagne, je dis que les Américains auront raison d’élir un nouveau leader, et je vous jure que ce nouveau leader arrêtera la guerre et gagnera la paix dans le Pacifique . » Nixon avait effectivement un plan, en deux parties. Tout d’abord, il sabota les projets de pourparlers mis en place par Johnson entre le Sud-Vietnam, le Nord-Vietnam et les Viêt-Cong, qui devaient aboutir à la fin des affrontements en octobre. Par l’intermédiaire secret d’une diplomate d’origine chinoise nommée Anna Chennault, Nixon convainquit le président sud-vietnamien Nguyen Van Thieu de boycotter au dernier moment les pourparlers : « Il m’a promis huit ans de soutien fort : quatre ans de soutien militaire durant son premier mandat, et quatre ans de soutien économique durant son second mandat , » révélera Thieu en 1999. L’autre partie du plan, Nixon l’exposa un jour à Bob Haldeman : « Je l’appelle la ‘théorie du forcené’, Bob. Je veux que les Nord-Vietnamiens croient que j’ai atteint le point où je suis prêt à faire n’importe quoi pour arrêter la guerre. On va juste leur glisser l’information que ‘pour l’amour de Dieu, vous savez, Nixon est obsédé par le communisme, on ne peut pas le retenir quand il est en colère — et il a son doigt sur le bouton nucléaire’. Et Ho Chi Min viendra en personne à Paris deux jours après pour signer la paix . » En fait, non seulement Nixon fit durer la guerre pendant quatre ans après son élection, ajoutant au bilan 21 000 morts américains, 110 000 parmi les soldats alliés sud-vietnamiens, 500 000 parmi les ennemis, et un nombre incalculables de victimes civils. Deux mois à peine après son élection, il étendit secrètement et illégalement la guerre au Cambodge, déclenchant un bombardement massif, sous le nom de code Breakfast, suivi par Lunch, Dessert, Snack, Supper et Dinner, avec pour résultat la prise du pouvoir par les sanguinaires Khmers Rouges, responsables de l’extermination d’un tiers de la population.


Le bilan de Nixon en Amérique latine est aussi sanglant. En tant que vice-président d’Eisenhower, Nixon avait supervisé, avec la CIA, les opérations au Guatémala, puis la préparation de l’invasion de Cuba qui déboucha sur le fiasco de la Baie des Cochons. En tant que président, il décida, avec son National Security Advisor Henry Kissinger et sous l’influence du lobby d’affairistes Council on Latin America, de renverser le président du Chili Salvator Allende élu en 1970. Le Select Committee on Intelligence, créé en 1976, a établi que la CIA tenta de corrompre le commandant en chef de l’armée chilienne René Schneider Chereau pour le placer à la tête d’un coup d’État avant même l’inauguration d’Allende. Mais le général se montra fidèle à la Constitution de son pays et devint finalement un obstacle au coup d’État militaire. L’équipe de la CIA dirigée par David Atlee Phillips le fit alors assassiner et orchestra une campagne d’intoxication de l’opinion pour mettre son assassinat sur le dos d’Allende. Dix millions de dollars furent convoyés à l’armée pour corrompre d’autres officiers et préparer le coup. Celui-ci ne se matérialisa vraiment que le 11 septembre 1973, lorsqu’Allende fut attaqué dans son palais présidentiel et, après avoir diffusé un message radio annonçant qu’il ne capitulerait pas, fut retrouvé mort « suicidé » dans le palais. Les États-Unis soutinrent pendant dix-sept ans la dictature fasciste du Général Pinochet.


En 1974, le nouveau président Gerald Ford donne à son nouveau directeur de la CIA William Colby la mission d’assainir l’Agence. Colby renvoie un certain nombre de dirigeants et, fin décembre, remet au ministre de la Justice un document de 693 pages (nommé familièrement les « Bijoux de familles », Family Jewels) relatif aux opérations illégales de la CIA. Ford se voit alors forcé de nommer une commission présidentielle, dirigée par son vice-président Nelson Rockefeller. La Commission Rockefeller dévoile différents abus et notamment les expériences de manipulation mentale du projet MKULTRA. Mais elle avait pour objectif de limiter les dégâts. Sans surprise (sous un président ancien membre de la Commission Warren), son rapport conclut qu’il n’y « aucun élément probant crédible » (no credible évidence) de l’implication de la CIA dans l’assassinat du Président Kennedy. Mais Ford est bientôt dépassé par le Congrès. Avant même la publication du rapport de la Commission Rockefeller, le Sénat, à l’initiative du Démocrate Frank Church, crée sa propre commission pour enquêter sur les Governmental Operations with Respect to Intelligence Activities. Le Church Committee publie entre 1975 et 1976 quatorze rapports distincts sur les abus des agences de Renseignement. Parallèlement, la Chambre des Représentants (House of Representatives) crée aussi sa commission, sous la direction d’Otis Pike. Les rapports du Church Committee et du Pike Committee créent une grande émotion publique en démontrant l’implication de la CIA dans les assassinats ou tentatives d’assassinat de chefs d’États étrangers tels que Patrice Lumumba, Fidel Castro, Rafael Trujillo ou Ngo Dinh Diem. Sous la pression de cette commission, Ford est contraint d’émettre un ordre exécutif (executive order) interdisant les interventions extérieures « impliquées dans le meurtre de chefs politiques dans des buts politiques . » En découvrant les plans d’assassinat de chefs d’État légitimes, l’opinion publique américaine se prend à soupçonner que ces activités illégales ont un lien avec le crime de Dallas. La diffusion télévisée du film d’Abraham Zapruder en mars 1975 contribue à faire monter une demande pressante de réexaminer les conclusions de la Commission Warren. En réponse, la Chambre des Représentants crée en 1976 le House Select Committee on Assassinations (HSCA) pour rouvrir l’enquête sur les assassinats de John Kennedy et Martin Luther King (celui de Bobby Kennedy n’est pas officiellement inclus). Le HSCA confond Atlee Phillips, pris à mentir au sujet des enregistrements d’Oswald à Mexico.


C’est alors que le Directeur Juridique (General Counsel) du HSCA, le procurateur Richard Sprague, qui avait refusé de signer une clause de confidentialité sur tous les documents fournis par la CIA, est victime d’une violente campagne de diffamation et forcé de démissionner. Il est remplacé par Robert Blakey, qui accepte les règles de la CIA et penche pour la thèse du tueur solitaire. Robert Tannenbaum, son adjoint (Deputy Counsel) en charge de l’enquête sur Kennedy, démissionna à son tour en constatant que le HSCA était maintenant engagé dans la construction de « false history », comme il l’expliqua en 1995. Simultanément, à la CIA, William Colby, qui s’était déjà montré trop coopératif avec la Commission Church, est remplacé par Georges H. W. Bush en janvier 1976. Ensemble, Blakey et Bush vont tuer l’enquête en convenant de nommer comme interlocuteur entre la CIA et le HSCA George Joannides, qui fait obstruction à l’enquête. La presse ne réalisa que plus tard que George Joannides avait été en 1963 l’agent de la CIA chargé de l’encadrement et du financement du Directorio Revolucionario Estudiantil (DRE) ou Cuban Student Directorate, le groupe d’exilés cubains le plus virulent contre Kennedy. Le HSCA ne put finalement qu’écorcher la surface du complot, se contentant de conclure dans son rapport à une « probable conspiracy ».

Nixon : J’aimerais autant utiliser la bombe nucléaire. 
Kissinger : Je crois que serait un peu trop.
Nixon : La bombe nucléaire ? Ça te dérange ? Je voudrais que tu vois en grand, Henry, nom de Dieu  ! 
(conversation enregistrée à la Maison Blanche en 1972).
« Si on laissait faire le Président, il y aurait une guerre nucléaire chaque semaine , » disait Kissinger. Dès les années 1950, Nixon recommandait à Eisenhower l’usage de la bombe atomique en Indochine et en Corée

Durant sa vice-présidence sous Eisenhower Nixon supervisa avec la CIA le renversement du gouvernement démocratique d’Iran et l’installation du Chah Mohammad Reza Pahlavi. Il fera de lui, selon ses mémoires, "a personal friend" et un très généreux donateur pour ses campagnes présidentielles.

Le rôle de Nixon comme vice-président d’Eisenhower reste obscur. Son fait d’arme le plus remarqué est d’avoir, durant sa visite à Moscou en juillet 1959, réussi à faire boire du Pepsi Cola à Nikita Khrouchtchev devant les photographes, offrant ainsi une publicité inespérée à l’entreprise dont il était avocat et actionnaire.

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

(comparaison et perspective)  

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​"Une pilule rouge pour Forrest Gump"​ â€‹â€‹ 

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