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Chapitre 7 

Le "false flag" du siècle

Souvenons-nous qu’en juillet 1961, les Joint Chiefs avaient présenté à Kennedy un plan pour une attaque nucléaire contre l’Union Soviétique « fin 1963, précédée par une période de tensions accrues . » Kennedy fut assassiné fin 1963, et tout porte à croire que son assassinat a été conçu pour générer des « tensions » avec le bloc soviétique. Le jour même, la United Press International révélait que le coupable présumé, Lee Harvey Oswald, avait des convictions marxistes et des connexions avec le régime pro-soviétique de Cuba : « L’assassin du Président Kennedy est un marxiste déclaré qui a passé trois ans en Russie en essayant de renier sa citoyenneté états-unienne  » ; « Après avoir changé d’avis et être revenu aux États-Unis l’année dernière, Oswald est devenu un sympathisant du premier ministre cubain Fidel Castro . » Cette nouvelle faisait planer le soupçon d’un complot communiste. Son but n’était pas seulement de resserrer les rangs de la nation divisée et choquée autour de son nouveau chef. Il s’agissait aussi de présenter l’assassinat de Kennedy comme un acte de guerre perpétré par l’ennemi, et légitimant des représailles, en l’occurrence l’invasion de Cuba. Pour renforcer le soupçon, on fit grand cas d’une phrase prononcée par Castro durant l’été 1963, en rapport aux tentatives d’assassinat dont il se savait l’objet : « Les dirigeants états-uniens devraient savoir que s’ils soutiennent des projets terroristes destinées à éliminer les dirigeants cubains, eux-mêmes ne seront plus en sécurité . » Les groupes militants d’exilés cubains ne perdirent pas de temps à promouvoir la thèse du complot castriste et appeler à la vengeance. Dès le lendemain de l’assassinat, le Directorio Revolucionario Estudiantil (DRE), plus connu sous le nom de Cuban Student Directorate, fit paraître une édition spéciale de son journal associant en première page les photos d’Oswald et de Castro sous le titre « Presumed Assassins ». Le DRE était financé par la CIA à hauteur de 25 000 dollars par mois, et encadré par George Joannides sous les ordres de Richard Helms. En réalité, comme le soulignera un rapport du HSCA, « Le DRE était, parmi tous les groupes anti-Castro, le plus virulent contre le président Kennedy . »


Paradoxalement, ce sont ces liens présumés entre Oswald et Cuba qui apportent la preuve décisive de la culpabilité d’un clan interne à la CIA. Oswald s’était enrôlé dans les Marines en 1956 à l’âge de 17 ans, puis avait suivi un entraînement à la base militaire d’Atsugi au Japon, l’un des avant-postes de la CIA. Il y avait appris le russe. De retour aux États-Unis, il s’abonne au journal du Parti Communiste et, en 1959, se rend en URSS avec un visa de 60 jours. Dès son arrivée à Moscou, il se présente à l’ambassade états-unienne pour renoncer solennellement à la nationalité américaine et affirmer : « Mon allégeance va à l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques . » Il déclare même son intention de livrer aux Soviétiques des informations connues de lui en tant que spécialiste des opérations radar dans les Marines. Il vécut deux ans et demi en URSS, où il épousa Marina Prusakova. Selon Victor Marchetti, agent de la CIA depuis 1955 et assistant de Richard Helms pendant trois ans jusqu’à sa démission en 1969, la CIA avait lancé en 1959 un programme de fausse défection impliquant « trois douzaines ou une quarantaines de jeunes gens que l’on avait fait apparaître comme de pauvres jeunes américains désenchantés qui voulaient voir en quoi consistait le communisme . » On espérait que ces jeunes, largués en URSS, seraient recrutés par le KGB et servir ainsi d’agent double (Marchetti, The CIA and the Cult of Intelligence, 1974). Yuri Nosenko, un diplomate soviétique qui fit défection en 1964 à Genève après huit années au KGB dont deux comme agent double, affirme que le KGB avait jugé Oswald trop fragile intellectuellement pour pouvoir l’utiliser.


C’est alors, en toute vraisemblance, que sa mission change. En juin 1962, Oswald se présente à nouveau à l’ambassade américaine de Moscou, cette fois pour obtenir un visa de retour. Loin d’être arrêté ou inquiété, il reçoit un nouveau passeport en moins de 24 heures, et même un prêt financier pour ses frais de voyage. Dès son retour, il s’installe à Fort Worth au Texas avec sa femme russe et leur enfant. Il est bientôt chaperonné par George de Mohrenschildt, qui le fait venir à Dallas. De Mohrenschildt est le fils d’un officier tsariste, consultant et négociant pour plusieurs pétroliers texans, rendant occasionnellement service à la CIA en échange de contacts à l’étranger. Quatre jours après son installation à Dallas, Oswald est embauché par Jaggars-Chilles-Stovall, une compagnie d’art graphique sous contrat de l’Army Map Service. À partir de juin 1963, il est souvent vu et par deux fois filmé en train de distribuer des tracts pour l’association pro-Castro Fair-Play for Cuba sur les trottoirs de la Nouvelle Orléans. Il attire même suffisamment l’attention pour être interviewé par la télévision et y exprimer ses convictions marxistes. En octobre 1963, il retourne à Dallas et prend un emploi dans le School Book Depository, le bâtiment où il se trouvera le 22 novembre à 12 h 30.


Voilà un parcours qui sent la manipulation. Oswald, bon soldat, croit probablement que sa mission est d’infiltrer les groupes pro-Castro, en vue peut-être de les discréditer. Mais à son insu, il est préparé pour son rôle de bouc émissaire. On l’a placé dans des situations mémorables destinées à lui coller une identité d’ennemi politique pour, au bout du compte, l’épingler comme comploteur. Sa « légende » de déserteur pro-soviétique et militant castriste, qu’il croit être sa couverture d’agent infiltré, sera en réalité son mobile d’assassin désigné. Elle n’était pas destinée à donner le change aux cercles communistes qu’il devait infiltrer, mais au public américain. Six mois au plus tard avant l’assassinat de Kennedy, et probablement dès son retour d’URSS, Oswald a été choisi comme patsy potentiel (parmi d’autres candidats), et exhibé à la presse dans un costume communiste taillé sur mesure pour le désigner, dès son arrestation, comme l’instrument d’un complot cubain. Avec un cynisme qui dépasse toute mesure, les comploteurs, qui haïssaient Kennedy pour sa sympathie envers Castro, prévoyaient donc d’imputer son assassinat à Castro et d’en faire le prétexte pour l’invasion de Cuba que Kennedy avait empêchée, et peut-être pour le déclenchement de la guerre nucléaire qui avait été son pire cauchemar.


Le plan fut contrarié par Lyndon Johnson et Edgar Hoover, qui s’entendirent pour imposer à la place la théorie du tireur solitaire dérangé, « the lone gunner ». Ils forcèrent la CIA à abandonner le plan A en menaçant de rendre publiques des failles qui risquaient de dévoiler la vraie nature du complot. Dans sa mise en scène du patsy Oswald, la CIA avait en effet péché par excès de zèle, en fabriquant des preuves qu’Oswald avait séjourné à Mexico entre le 27 septembre et le 2 octobre 1963, pour se rendre aux ambassades soviétique (deux fois) et cubaine (trois fois), auxquelles il aurait également téléphoné (sept fois à la première, trois fois à la seconde). L’objet de ses appels et visites était l’obtention d’un visa pour Cuba. À l’ambassade soviétique, Oswald aurait rencontré, téléphoné, et plus tard écrit à Valery Kostikov, un officier du KGB que la CIA connaissait comme « l’officier en charge des activités terroristes dans l’hémisphère occidental, y compris et surtout les assassinats . » La CIA prétendait détenir la photographie d’Oswald pénétrant dans l’ambassade soviétique, ainsi qu’un enregistrement d’une conversation téléphonique entre Oswald et un employé de cette ambassade. Tout cela était censé démontrer qu’Oswald avait agi pour le compte ou en tout cas avec le soutien de Cuba et de l’Union Soviétique, et qu’il avait préparé sa fuite à l’avance. Et cela aurait pu fonctionner si Hoover et Johnson n’en avait pas décidé autrement. Sept agents du FBI qui écoutèrent l’enregistrement de la CIA après avoir interviewé Oswald les 22 et 23 novembre s’accordèrent, selon un mémorandum signé par Hoover, que la personne s’identifiant au téléphone comme « Lee Oswald » « was NOT Lee Harvey Oswald » ; la voix ne correspondait pas. Dans une discussion téléphonique avec Johnson, dont l’enregistrement a été déclassifié, Hoover affirme que la photo ne correspond pas non plus : « cette photo et la bande ne correspondent pas à la voix de l’individu, ni à son apparence. Autrement dit, il semble qu’il y ait eu une seconde personne qui se soit rendue à l’ambassade soviétique . » Il ajoute, laissant la fin de sa phrase en suspens, et se sachant probablement écouté par la CIA : « Si nous parvenions à identifier cet homme qui était à l’ambassade soviétique à Mexico … ». Sept semaines plus tard, Hoover évoque dans une note en marge d’un rapport la « fausse histoire concernant le voyage d’Oswald au Mexique  » en l’attribuant clairement à la CIA. Oswald n’était jamais allé à Mexico, comme n’a d’ailleurs cessé de l’affirmer son épouse Marina. La preuve fabriquée contre Oswald par l’Agence s’était retournée contre elle. Les ficelles étaient trop grosses, et une enquête sur les liens d’Oswald avec Cuba et l’Union Soviétique risquait de les rendre apparentes. Il sera démontré devant le HSCA que la fausse visite d’Oswald avait été mise en scène par David Atlee Phillips, qui travaillait sous les ordres de Richard Helms en tant que Chief of Covert Action pour l’hémisphère Nord, et qui avait son quartier général à Mexico.


Pendant que Hoover compromettait les plans de la CIA en neutralisant les liens qu’elle avait tissés entre Oswald et le communisme, et en la menaçant de fuiter ses découvertes, Johnson exerçait autour de lui un autre savant chantage, destiné à freiner l’ardeur belliqueuse des militaires, impatients de considérer l’assassinat de Kennedy comme une déclaration de guerre des Soviétiques. Dès l’après-midi du 22 novembre, Johnson utilisa précisément le danger d’embrasement pour ordonner aux autorités de Dallas de cesser toute enquête et confirmer au plus vite qu’Oswald avait agi seul. Le procureur de Dallas (District Attorney) Henry Wade, le procureur général du Texas (Attorney General) Waggoner Carr et le chef de la police Jesse Curry reçurent tous trois des appels téléphoniques du fidèle bras-droit de Johnson, Cliff Carter, émis directement d’Air Force One puis de la Maison Blanche. Selon Wade, Carter lui « dit que le Président Johnson pensait qu’évoquer un complot — un plan par des nations étrangères — pour tuer le Président Kennedy ébranlerait notre nation dans ses fondations. […] Je devais simplement inculper Oswald de meurtre et l’envoyer à la peine capitale. Johnson me fit appeler par Cliff Carter trois ou quatre fois ce weekend . » Johnson continua d’utiliser le spectre de la guerre nucléaire pour faire taire les « rumeurs » d’un complot communiste : « 40 millions de vies américaines étaient en jeu  », répétait-il autour de lui. Un mémorandum à usage interne, daté du 17 février 1964, évoque la première réunion de la Commission le 20 janvier 1964, durant laquelle Warren, après avoir été briefé par la CIA et le Président, expliqua à tous les membres de la Commission que leur mission était de détruire tous les « rumeurs » qui, « si elles n’étaient pas étouffées, pourraient conduire le pays dans une guerre qui coûterait 40 millions de vies. […] Personne ne peut refuser de faire quelque chose pour empêcher une telle possibilité . » D’une manière générale, on peut dire que le chantage à la guerre nucléaire a contraint moralement chaque Américain à ne pas trop (se) poser de questions : on se doutait que l’État cachait quelque-chose, mais on se disait que c’était peut-être dans l’intérêt de la sécurité nationale.

Oswald tenant l’arme du crime et le mobile (deux journaux communistes) : la parfaite preuve auprès de l’opinion publique. Dans le monde du renseignement, le sheep-dipping désigne le fait de brouiller les liens entre un agent des services secrets et ces derniers, en le plaçant au sein d’une organisation légitime dans le but d’établir une fausse crédibilité, ou « légende », lui permettant d’infiltrer ou subvertir des groupes ou organisations rivales. Dans le cas d’Oswald, cette légende était destinée à faire de lui le parfait patsy, ou « lampiste ».

Le 27 mars 1977, s’attendant à être convoqué par le HSCA, De Mohrenschildt accorde une interview à Edward Epstein dans laquelle il avoue avoir chaperonné Oswald sur la demande de la CIA, sans savoir ce qui attendait ce dernier, en échange d’une aide pour la signature d’un contratde 285 000 $ avec le dictateur Papa Doc Duvalier de Haïti (où il se trouvait le 22 novembre). Trois heures après cette interview, il est retrouvé « suicidé » d’une balle dans la tête.

Oswald distribuant des tracts du Fair Play for Cuba Committee. Le 9 août, trois exilés cubains anti-Castrofont mine de s’en prendre à lui, provoquant l’intervention de la Police et leur arrestation pour trouble à l’ordre public, toujours sous l’œil des journalistes et des caméras. Oswald passe une nuit au poste. Six jours après, il reprend ses distributions de tracts, embarrassant à nouveau le Committee qui lui avait demandé d’éviter toute provocation nuisant à son image.

Edgar Hoover, qui fait chanter tout Washington, entretient avec la CIA un rapport de rivalité mimétique. « Les gens pensent que je suis si puissant, mais quand il s’agit de la CIA, je ne peux rien faire , » dira-t-il.  Il parvint néanmoins à imposer la thèse du tireur solitaire et faire taire celle du complot communiste, qui avait la préférence du cercle anti-Castro mais risquait de mener d’éventuels enquêteurs trop près des vrais suspects. Parmi ces derniers se trouvaient quelques riches pétroliers texans, comme Clint Murchison, dont Hoover comme Johnson connaissait la générosité et de l’hospitalité.

Menachem Arnoni, éditeur du mensuel The Minority of One, suggère dans son numéro de janvier 1964 la possibilité «that important men in Washington do know the identity of the conspirators, or at least some of them, and that those conspirators are so powerful that prudence dictates that they not be identified in public. »

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

(comparaison et perspective)  

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​"Une pilule rouge pour Forrest Gump"​ â€‹â€‹ 

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