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Chapitre 10

Robert Kennedy, la seconde chance

Le 29 novembre 1963, Bill Walton, ami intime de la famille Kennedy, se rend à Moscou et, sans en informer l’ambassadeur, transmet à Georgi Bolshakov (l’agent qui avait déjà servi de facteur entre Khrouchtchev et Kennedy) un message à l’intention de Khrouchtchev de la part de Robert Kennedy et Jacqueline Kennedy. Selon la note retrouvée dans les archives soviétiques dans les années 1990 par Alexandr Fursenko et Timothy Naftali (One Hell of a Gamble, 1998), le frère et l’épouse du président assassiné voulaient faire savoir au Premier soviétique qu’ils pensaient que John Kennedy avait été « the victim of a right-wing conspiracy ». De plus, « Walton, et par présomption [Robert] Kennedy, voulait que Khrouchtchev sache que seul RFK pouvait implémenter la vision de John Kennedy et que le refroidissement qui adviendrait peut-être dans les relations USA-URSS à cause de Johnson ne seraient pas éternel . »


Ostensiblement ignoré, du jour au lendemain, par Hoover et par Johnson, bien qu’encore Attorney General, Robert Kennedy se savait désarmé face aux forces qui avaient tué son frère, et qui maintenant le surveillaient étroitement. Il décida de survivre politiquement. Il refusa de témoigner devant la Commission Warren et déclara qu’il n’avait pas l’intention de lire son rapport, mais fut forcé de signer une lettre stipulant : « J’aimerais déclarer de façon définitive que je n’ai connaissance d’aucun élément accréditant les allégations que l’assassinat du Président Kennedy a été causé par un complot domestique ou étranger . » Aux amis proches qui le lui reprochaient, il répondait, comme à Dick Goodwin en juillet 1966 : « Je ne peux rien faire. Pas pour le moment. » Il disait aussi : « Si le peuple américain connaissait la vérité sur Dallas, il y aurait du sang dans les rues . » Robert Kennedy comptait briguer la présidence en 1972. Mais deux choses  précipitèrent sa décision de se présenter dès 1968 : d’une part le renoncement de Johnson à un second mandat, pour cause d’impopularité, d’autre part l’enquête de Jim Garrison  ouverte en 1967. Lorsque celle-ci commença à faire parler d’elle, Kennedy chargea un de ses proches conseillers, Frank Mankievitch, de la suivre de près :  « Je veux que tu y regardes de près, que tu lises tout ce que tu peux, de sorte que s’il arrive un point où je peux faire quelque chose, tu puisses me dire ce que je dois savoir . » Il confia à son ami William Attwood, rédacteur en chef du magazine Look, qu’il croyait comme Garrison à un complot, « mais je ne peux rien faire tant que je n’ai pas le contrôle de la Maison Blanche . » Il se garda de soutenir Garrison ouvertement, estimant que l’issue de son enquête était incertaine, qu’elle risquait de compromettre son projet de rouvrir l’enquête plus tard, et surtout qu’une prise de position pourrait affaiblir ses chances d’élection, en faisant apparaître sa candidature comme une affaire de famille. Il se lança dans une campagne où la critique de la Guerre du Viêt Nam tint une grande place : « Lequel de ces braves jeunes gens qui meurent dans les rizières du Viêt Nam aurait écrit une symphonie ? Lequel aurait écrit un poème magnifique ou guéri le cancer ? Lequel aurait joué dans les World Series [de baseball] ou nous aurait fait rire sur une scène, ou aurait aidé à construire un pont ou une université ? Lequel aurait appris à un jeune enfant à lire ? C’est notre responsabilité de laisser ces hommes vivre . »


Le 4 avril 1968, Martin Luther King fut abattu dans des circonstances mal élucidées, selon un mode opératoire similaire à l’assassinat de Kennedy. Le nom, le portrait et le profil du tueur présumé furent diffusés presque instantanément. James Earl Ray, un délinquant intellectuellement déficient, avait été en réalité manipulé par un certain Raoul (probablement un agent de la CIA d’origine cubaine), qui s’était arrangé pour qu’il se trouve logé dans un motel avec vue sur le balcon de King, et qu’un fusil soit retrouvé sous sa fenêtre avec ses empreintes. L’avocat commis d’office à la défense de Ray n’eut aucun mal à le convaincre de plaider coupable pour obtenir la clémence du jury. Personne ne fit attention à lui quand il se rétracta trois jours plus tard. Il mourut en 1998, sans avoir cessé de clamer son innocence. Le Révérend King gênait le gouvernement de Johnson par ses récentes prises de position contre la Guerre du Viêt Nam, et il inquiétait plus encore par son projet de rassembler dans sa Poor People’s Campaign une « armée multiraciale de pauvres » qui marcherait sur Washington et camperait devant le Capitole, jusqu'à ce que le Congrès signe une Déclaration des Droits du Pauvre.


Robert Kennedy fut assassiné deux mois plus tard, le 6 juin 1968 à Los Angeles, juste après l’annonce des résultats des primaires de Californie qui faisaient de lui le favori pour l’investiture démocrate. Il fut abattu par un jeune Palestinien décrit par certains témoins comme étant dans un état de transe. Bien qu’il ait été lui aussi convaincu de plaider coupable par son avocat commis d’office, Sirhan Sirhan continue de clamer, depuis 45 ans, n’avoir jamais eu aucun souvenir de son acte. Expertises psychiatriques et détecteurs de mensonge confirment son amnésie. S
a famille, chrétienne et pieuse, le décrit comme incapable de violence et lui-même ne peut s’expliquer un tel acte : « Ma propre conscience n’approuve pas ce que j’ai fait. Cela va contre mon éduction, mon enfance, ma famille, l’église, les prières, la Bible. Et voilà que tout d’un coup j’explose la cervelle de ce type. C’est n’est pas moi . » Sirhan croit avoir été drogué et/ou hypnotisé. Par ailleurs, le docteur Thomas Nogushi, le médecin légiste qui conduisit l’autopsie de Robert Kennedy, conclut (et confirma dans ses mémoires en 1983) que la balle fatale avait été tirée à quelques centimètres derrière l’oreille droite de Kennedy, selon un angle ascendant. Or, tous les témoins confirment que Robert n’a jamais tourné le dos à Sirhan et que celui-ci était à plusieurs mètres de sa cible lorsqu’il a tiré. Enfin, le compte des impacts donne douze balles tirées, alors que le revolver de Sirhan n’en contenait que huit. De forts soupçons pèsent sur Thane Eugene Cesar, un garde du corps embauché pour la soirée, qui se trouvait collé derrière Kennedy au moment des tirs, et que des témoins virent avec son pistolet dégainé. Cesar ne cachait pas sa détestation pour les Kennedy qui, selon lui, « avait vendu le pays aux communistes . »


Le mystère de Sirhan s’est éclairé en 1975, avec les révélations de la Commission Church. On apprit que durant la guerre de Corée en 1953, le Technical Services Staff fut chargée de mener des recherches ultra-secrètes incluant le développement d’armes chimiques et bactériologiques, mais aussi des expériences de manipulation mentale par drogues, hypnose et électrochocs. La légitimation officielle de ce programme inspiré par les docteurs nazis et nommé MKULTRA (pour « Mind Kontrolle ultra-secret ») était de percer le mystère du « lavage de cerveau » prétendument pratiqué par les communistes, et ainsi d’obtenir « une connaissance approfondie du potentiel théorique de l’ennemi [c’est-à-dire de ce dont on l’imaginait capable], afin d’acquérir la capacité de nous défendre contre un ennemi qui a peut-être moins de retenue que nous dans l’usage de ces techniques . » Autrement dit : combattre le diable (imaginaire) par ses propres armes, la fin justifiant les moyens. En Allemagne, au Japon, en Corée et plus tard au Viêt Nam, le docteur Sidney Gottlieb et ses associés expérimentèrent sur des prisonniers des techniques d’interrogatoires musclées combinant drogues, hypnose, électrochoc et torture. Sur le territoire national, Gottlieb associa secrètement à sa recherche 3 institutions pénitentiaires, 12 hôpitaux, 15 instituts ou compagnies pharmaceutiques et 44 universités. De nombreux étudiants ont servi de cobayes pour des expériences au LSD, une molécule récemment mise au point par les laboratoires Sandoz en Suisse. Un document du 5 mai 1955 donne comme but à la Chemical Division du Technical Services Staff « la découverte de […] produits et méthodes » capables, entre autre, de « promouvoir une pensée illogique et impulsive au point que le sujet se discrédite en public », « altérer la structure de la personnalité de telle sorte à augmenter la tendance du sujet à dépendre d’un autre » et encore « produire une amnésie pour les événements précédant et durant l’usage [des produits et méthodes] . » En 1973, lorsque la CIA commença à être pointée du doigt pour ses activités illégales, Richard Helms ordonna la destruction complète des milliers de dossiers du projet MKULTRA. Sept boites échappèrent cependant à la purge, ce qui permit au projet d’être rendu public en 1977 grâce à l’enquête d’un investigateur nommé John Marks, qui en tira en 1979 son livre The Search for the “Manchurian Candidate”. Le titre de cet ouvrage fait référence au roman The Manchurian Candidate de Richard Condon (1959) évoquant un assassin programmé malgré lui pour tuer, comme l’a été Sirhan Sirhan selon Marks.


Sur la tombe de Robert Kennedy au cimetière d’Arlington sont gravés un extrait de son discours à l’Université de Capetown en juin 1966, où il défia la légitimité morale de l’apartheid : « Chaque fois qu’un homme se lève pour un idéal, ou agit pour améliorer le sort des autres, ou se bat contre l’injustice, il envoie une minuscule onde d’espoir, et en se croisant depuis un millions de centres d’énergie et d’audace différents, ces ondes forment un courant qui peut balayer sur son passage les murs d’oppression et de résistance les plus solides . »


Une fois Robert Kennedy éliminé de la course présidentielle, la victoire revint aisément au Républicain Richard Nixon. Le flambeau de la politique antimilitariste fut repris par George McGovern qui, en mai 1963, avait plaidé pour la reconnaissance de la révolution cubaine, afin de donner la priorité à la lutte contre la misère en Amérique latine. McGovern sera candidat en 1972, sur un programme prônant le désengagement du Viêt Nam. Il devance dans les primaires Henry Scoop Jackson, qui rassemble après Johnson l’aile droite du parti démocrate, favorable à une implication plus musclée au Viêt Nam. McGovern est sévèrement battu par Nixon. Le mouvement politique qu’il représentait, dans le sillage des Kennedy, ne s’en remettra jamais.

"Is everyone alright?" furent les dernières paroles de Bobby Kennedy.

En 1968, Robert Kennedy soutenait la Poor People’sCampaignde Martin Luther King Jr., et condamnait comme lui la Guerre du Vietnam. Le 4 avril, il était en route pour un quartier pauvre d’Indianapolis lorsqu’il apprit la nouvelle de l’assassinat de King. Il l’annonça lui-même à une foule majoritairement noire. 

Sirhan Sirhan en 2011: « Je n’ai jamais pu me souvenir de ce qui s’est passé à cet endroit à ce moment. Et je n’ai jamais pu me souvenir de nombreuses choses et incidents qui ont eu lieu dans les semaines précédant la fusillade. »

Jack et Bobby en 1957, durant une session du United States SenateSelect Committee on Improper Activities in Labor and Management (ou Rackets Committee). Avec 253 enquêtes ouvertes entre 1957 et 1960 et 138 condamnations, ce comité, créé sous l’impulsion de Robert puis rejoint par John, révéla l’étendue abyssale des réseaux mafieux que persistait à nier Edgar Hoover.

Sidney Gottlieb encouragea le docteur Ewen Cameron, psychiatre renommé (président de l'American Psychiatric Association), à se livrer dans sa clinique de Montréal à des expériences ayant pour but d’effacer totalement la personnalité humaine pour la reprogrammer, sur des patients venus le consulter parfois pour des troubles mineurs.

Robert Kennedy se comportait en campagne avec une totale insouciance de sa sécurité. « Les Kennedy n’ont pas besoin de gardes du corps, » répondait-il à ceux qui le lui reprochaient. Ou encore : « Vivre chaque jour est comme une roulette russe . »

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

(comparaison et perspective)  

"Une pilule rouge pour Forrest Gump"​ ​ 

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