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Introduction

Le sujet de ce livre est « l’histoire profonde » des États-Unis et de sa sphère d’influence durant les cinquante dernières années. Par Deep History ou Deep Politics, le politologue canadien Peter Dale Scott entend les décisions et activités occultes qui déterminent les grands événements historiques, et tout particulièrement les conflits armés. L’histoire profonde s’appuie sur les archives secrètes péniblement déclassifiées et sur les témoignages d’insiders et whistleblowers, plutôt que sur les traités et discours publiques, pour expliquer les soubresauts de l’histoire. Elle inclut, mais ne se limite pas à l’histoire des services secrets (l’Intelligence Community des États-Unis comprend seize agences gouvernementales). Considérant que les événements déclencheurs de guerre retenus par la « grande histoire » — celle qu’écrivent par les vainqueurs —sont presque toujours de faux prétextes, l’histoire profonde est révisionniste. Elle est aussi pacifiste, puisqu’elle cherche à exposer à la lumière les vraies causes des guerres. Elle est menée par des investigateurs indignés plutôt que par les historiens de métier. Elle est « conspirationniste » si l’on entend par là qu’elle admet le rôle des complots et pactes secrets, des opérations d’infiltration et manipulation, des financements occultes et trafics d’influence, des guerres psychologiques et campagnes de désinformation, des opérations paramilitaires et clandestines, dans la marche du monde depuis le début de la Guerre froide, et de manière croissante depuis le 11-Septembre. En fait, seule l’histoire profonde permet d’expliquer le basculement du monde de la Guerre froide à la Guerre anti-terroriste, autrement dit du 20e au 21e siècle, car cette évolution résulte directement de l’action secrète des États.


Une part importante de l’histoire profonde est consacrée aux « opérations sous fausse bannière » (« false flag operations »), dans lesquelles un État feint une attaque ennemie pour justifier son entrée en guerre auprès de son opinion publique et sur la scène internationale, en présentant le pays agressé comme l’agresseur. On impute facilement de telles opérations aux nations vaincues : on sait qu’en 1931, lorsque l’armée japonaise décida d’envahir la Manchourie, elle dynamita ses propres rails de chemin de fer près de la base militaire de Mukden et accusa les Chinois de ce sabotage. On sait aussi qu’en 1939, lorsqu’Hitler eut besoin d’un prétexte pour envahir la Pologne, il ordonna l’assaut de soldats et détenus allemands revêtus d’uniformes polonais sur l’avant-poste de Gleiwitz. Et l’on sait qu’auparavant, en 1933, il avait fait incendier le palais du Reichtag pour accuser un « complot communiste » et suspendre les libertés individuelles. En revanche, les nations victorieuses parviennent plutôt bien à maintenir enfouies leurs propres mensonges et crimes de guerre, et c’est le rôle de l’histoire profonde de les exhumer. Ses découvertes sont profondément déstabilisantes.


L’histoire profonde est l’histoire de l’ « État profond » (Deep State), par quoi l’on désigne les structures de pouvoir qui, dans les coulisses du spectacle politique, mettent en branle les grands mouvements de l’histoire. Bien qu’il ait toujours existé, l’État profond s’est renforcé dans les démocraties modernes (dans une dictature il se confond avec l’État public), en raison du besoin éprouvé par certaines forces de se retrancher hors du regard des citoyens et des sanctions électorales. L’État profond est hostile aux institutions démocratiques de l’État républicain. La transparence que revendique le second est l’ennemi du premier. Mais l’État profond cherche moins à détruire le pouvoir démocratique qu’à en fixer les limites et l’influencer. Aux États-Unis, il a pris en cinquante ans le contrôle presque total de la politique étrangère, de sorte que toutes les actions directes ou indirectes des États-Unis dans le monde ont des causes cachées du grand public.


La puissance exceptionnelle de l’État profond aux États-Unis s’explique par la nature double et contradictoire de cette nation, que l’on peut caractérisée par l’oxymore de « démocratie impériale ». À l’intérieur de ses frontières, les États-Unis sont une démocratie, mais à l’extérieur, il se comporte comme un empire ou une puissance coloniale. La violence impériale de sa politique étrangère doit rester cachée aux yeux et à la conscience du citoyen américain, qui doit être convaincu que son gouvernement n’agit dans le monde que pour défendre la liberté et la démocracie. L’État profond est le cœur invisible de l’Empire, le centre de commandement de la violence secrète.


Bien qu’il puisse à l’occasion se comporter comme un « gouvernement invisible », l’État profond n’est pas une structure homogène mais un organisme polymorphe. Des clans s’y font et s’y défont au gré des alliances, tractations et trahisons. Certains de ces clans sont unis par des liens personnels de sang ou d’argent, auxquels peuvent s’ajouter des fraternités de type initiatique. Certains sont communautaires et même, dans plus d’un cas, solidaires d’un gouvernement étranger, auquel ils peuvent être reliés par les galeries transfrontalières que constituent certains services secrets. D’autres clans sont idéologiques, mais nourrissent des visions mondialistes ou suprémacistes peu compatibles avec le patriotisme républicain classique et avec les valeurs universelles dont se réclame l’État public. C’est la tâche de l’histoire profonde d’identifier, derrière la propagande, ces projets et ces loyautés qui ne s’énoncent qu’à l’abri des médias. Enfin, certains acteurs majeurs de l’État profond ne semblent mus que par la soif du pouvoir personnel : dans les rouages profonds de l’État excellent les psychopathes.


Les acteurs de l’État profond ne sont pas nécessairement inconnus du public. Bien qu’ils intriguent en cercles discrets voire secrets, leur influence sur le monde n’est pas totalement occulte. Il leur arrive d’ailleurs, avec l’âge, de s’en vanter. Les plus puissants occupent de hautes fonctions gouvernementales, où ils sont toutefois plus souvent nommés qu’élus. Mais le rôle qu’ils jouent sur la scène publique est alors différent de celui qu’ils tiennent en réalité. L’un des postes clés de l’État profond états-unien est celui de National Security Advisor, parce qu’il est protégé par le secret d’État institutionnel. Récemment, ce sont ses conseillers, plus discrets encore, qui ont tiré les ficelles.


Pour l’élite qui opère au niveau profond du pouvoir, le monde est un terrain d’affrontement où toutes les formes de guerre sont permises. L’infomation est une arme aussi cruciale que l’argent pour la lutte contre les opposants politiques, mais aussi pour le contrôle de l’opinion publique et la manipulation de la démocratie. Les acteurs profonds font l’histoire (history) en racontant « des histoires » (stories) au peuple. Le terme « état profond » dans le titre de ce livre peut donc aussi être pris dans un sens psychologique, pour désigner le sommeil hypnotique dans lequel les pouvoirs profonds maintiennent la masse pour gouverner à son insu et, surtout, l’amener à approuver la guerre.


Ce livre est divisé en deux parties : la première se situe dans le contexte de la Guerre froide, la seconde dans le contexte de la Guerre contre le terrorisme. La période globale abordée commence le 22 novembre 1963 et culmine au 11 septembre 2001 : ce sont les deux événements profonds que nous explorerons, car ce sont les plus lourds de conséquence dans l’histoire moderne de l’empire américain. Par « événement profond », nous entendons des événements dont la causalité est majoritairement cachée et dont n’émerge à la lumière de l’actualité qu’une infime partie. Leur nature réelle est étrangère et souvent opposée à leur signification projetée sur la scène médiatique. Il faut cinquante ans pour qu’un événement profond acquière, au rythme de la déclassification des archives, une transparence suffisante rendant son explication officielle insoutenable (c’est aussi le temps pour la génération directement impliquée de disparaître). Aussi la recherche de la vérité sur l’assassinat de Kennedy sort-elle tout juste du ghetto « conspirationniste » où l’avait reléguée la culture institutionnelle. Le crime de Dallas est devenu un cas d’école ; il apporte, à qui s’en donne la peine, la preuve de l’existence de l’État profond, de son lien vital avec la Guerre, et de sa capacité à changer le cours de l’histoire tout en façonnant l’opinion publique. L’ambition principale de ce livre est d’éclairer le 11-Septembre à la lumière du 22-Novembre, mettre en relief leurs ressemblances structurales, montrer comment l’un a rendu l’autre possible à trente-huit ans d’intervalle, suivre le fil souterrain qui mène de l’un à l’autre et anticiper son cheminement futur. Les liens entre les deux affaires sont structurels mais aussi personnels. Ils passent notamment par George H.W. Bush, qui était secrètement à la CIA et présent à Dallas le 22 novembre 1963, bien avant de devenir patron de la CIA, puis vice-président, puis président, puis père de président. C’est pourquoi ceux qui défendent encore bec et ongles la thèse gouvernementale sur la mort de Kennedy sont les mêmes que ceux qui s’efforcent d’empêcher l’émergence de la vérité sur le 11-Septembre. Inversement, dénoncer le complot interne du 11-Septembre sans élucider l’assassinat de Kennedy, c’est un peu comme raconter le Déluge de Noé sans parler du Péché d’Adam.


Je me suis donné pour objectif la brièveté. J’ai voulu aller à l’essentiel, de sorte à fournir une narration aussi fluide que possible à l’usage du profane non-anglophone. Il ne s’agit pas de démontrer une thèse par accumulation d’arguments, mais d’assembler avec cohérence les faits les plus parlants, ceux qui donnent les clés suffisantes de l’histoire profonde. L’intention était de dessiner the big picture à partir d’éléments bien choisis. Renonçant aux pistes trop obscures ou imbriquées, je me concentre sur les épisodes les plus sûrs et les plus déterminants, c’est-à-dire sur le minimum à maîtriser pour comprendre la genèse et la nature du monde dans lequel nous vivons. Je m’efforce également de relier logiquement tous ces éléments entre eux (connecting the dots). Pour gagner en concision, certains détails sont déportés dans les encadrés illustrés, qui apporteront également des preuves par l’image, des citations révélatrices, ou des éclairages sur quelques personnalités dont le visage et le nom méritent une place dans la mémoire collective —  l’histoire profonde possède ses héros et ses martyrs, qui ne sont pas ceux de l’histoire superficielle.


Les règles sont l’exactitude et la précision. L’essentiel du livre est constitué de faits avérés. Les rares hypothèses ou interprétations avancées seront clairement énoncées comme telles. Toute rumeur infondée a été exclue. La plupart des données incluses dans ce livre est bien connue des chercheurs rigoureux. Dans le souci d’aider le lecteur à contrôler toute affirmation et approfondir toute information par un moteur de recherche, je fournis systématiquement les dates, noms propres et autres mots-clés utiles. Ce qui vaut pour les événements vaut aussi pour les citations : ne sont retenus que des propos mémorables, informatifs et non contestés. S’il s’agit de paroles rapportées, la source est indiquée. Je me suis efforcé de laisser la parole aux protagonistes, en évitant tout procès d’intention. Pour cette raison, l’original anglais de toutes les citations traduites est donné en bas de page. La bibliographie essentielle est donnée en fin d’ouvrage, et les informations tirées d’autres sources sont référencées dans le texte.

Laurent Guyénot est ingénieur diplômé de l’École Nationale Supérieure des Techniques Avancées (1982), docteur en Études Médiévales à Paris IV-Sorbonne (2009), et a enseigné à l’Université de Savoie. Avant de s’investir dans cette enquête, il a publié dans les domaines de l’anthropologie littéraire (La Mort féerique, Gallimard ; La Lance qui saigne, Champion), de l’histoire des religions (Jésus et Jean-Baptiste, Imago ; Les Avatars de la réincarnation, Exergue). 

Egalement journaliste d'investigation, Laurent Guyénot est l'auteur de la seule enquête sur les ravages psychologiques et sociaux de la pornographie de masse.

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

(comparaison et perspective)  

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​"Une pilule rouge pour Forrest Gump"​ â€‹â€‹ 

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