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Chapitre 13

Les guerres secrètes du vice-président Bush

Évincé de la CIA par le président Carter, Bush reviendra au centre de la politique nationale sous Ronald Reagan. Il obtint le poste de vice-président avec l’aide de ses anciens contacts de la CIA, certains recyclés dans le mercenariat et le traffic d’armes, qui lui permirent de saboter la « surprise d’octobre » du président sortant Jimmy Carter. On désigne par « surprise d’octobre » tout coup de théâtre survenant juste avant les élections présidentielles (en novembre), susceptible de faire basculer les électeurs indécis dans un camp ou dans l’autre. La surprise qui aurait dû faire gagner Carter était la libération de 52 otages capturés dans l’ambassade américaine de Téhéran un an auparavant en représailles de la décision des États-Unis d’accueillir le Shah d’Iran fuyant la révolution islamique. Les négociations venaient d’aboutir et la libération des otages était imminente. Mais en octobre 1980, un arrangement secret fut conclu entre les Iraniens et une équipe de Républicains incluant George Bush, et Robert Gates, par l’intermédiaire d’un officier du Renseignement israélien qui organisa une réunion à Paris. Comme ils l’avaient fait avec le Sud-Vietnam en 1968, les Républicains surenchérirent sur les concessions de à l’Iran, et obtinrent que la libération des otages soit retardée, en échange de ventes illégales d’armes ; l’Iran était alors en guerre contre l’Irak, que les U.S. armaient alors officiellement. Les otages furent finalement libérés le 21 janvier 1981, le jour même de l’inauguration de Reagan, assurant à ce dernier un surcroît de popularité. Les armes commencèrent à être livrées à l’Iran dès février 1981.



La présidence de Reagan fut l’âge d’or du complexe militaro-industriel. William Casey, nommé directeur de la CIA par Reagan avoir été son directeur de campagne, sera l’artisan d’une politisation sans précédent dans la CIA. Persuadé que l’Union Soviétique était la source de tout le terrorisme mondial, il pesa de tout son poids pour biaiser les informations fournis par la CIA, en la mettant en concurrence avec la DIA (Defense Intelligence Agency) et en produisant un document intitulé « The Soviet Role in Revolutionary Violence » qui convainquit Reagan de la justesse de ses vues et orienta la politique militariste de son administration. Grâce notamment à la Strategic Defense Initiative, un bouclier spatial plus connu sous le nom de « Guerre des étoiles », le budget de la Défense explosa, atteignant le mille milliards de dollards. Reagan fut aussi le président le plus vieux de l’histoire des États-Unis. Sujet à de longues siestes et peu concentré lors des briefings, il délègue l’essentiel de ses prérogatives, laissant en particulier Bush agir de sa propre initiative dans de nombreux domaines. Selon le Press Secretary de la Maison Blanche James Brady, « George est impliqué dans toutes les affaires de sécurité nationale en raison de son expérience comme directeur de la CIA  » (Webster Tarpley, George Bush, 1991). Par une suite de décrets et directives, Bush est même officiellement placé à la tête des opérations secrètes de la CIA et du Pentagone. Il joue un rôle décisionnel clé dans l’opération Iran-Contra, dont les deux volets sont, d’une part, la vente secrète d’armes à l’Iran qui continue après la libération des otages, d’autre part, le soutien illégal aux contre-révolutionnaires du Nicaragua, les « Contras ».


La vente d’armes à l’Iran, qui violait un embargo officiel, se fit par l’intermédiaire d’Israël, lequel trouvait avantage à ce que les Irakiens et les Iraniens, ses deux pires ennemis, s’entretuent mutuellement. En tout, l’Iran reçut secrètement 128 chars américains, 10 000 obus, 3000 missiles air-air, 4000 fusils et près de 50 millions de cartouches. Simultanément, 24 firmes d’armement américaines exportaient légalement des armes à Bagdad, y compris des armes biologiques. C’est ainsi que l’Iran et l’Irak se combattirent pendant huit ans (1980-1988), pour le plus grand bénéfice du complexe militaro-industriel israélo-américain. L’opération contribuera à nouer des liens fusionnels troubles entre les services secrets américains et israéliens. En 1981, par exemple, c’est grâce aux photos obtenues par le satellite espion KH-11 qu’Israël parvint à détruire la centrale nucléaire irakienne d’Osirak, de fabrication française (7 juin 1981).


Les bénéfices générés par la vente d’armes à l’Iran vont être siphonnés vers l’Amérique latine, pour soutenir les Contras, milices opposées aux révolutionnaires sandinistes du Nicaragua (ainsi nommés en souvenir d’Augusto Sandino, le président démocrate assassiné en 1934). Les Contras n’ont aucun soutien parmi la population et font régner la terreur parmi les villageois. Alerté par des rapports sur leur cruauté, incluant meurtres, viols, torture, mutilation, kidnapping et rançonnage, le gouvernement Carter a interrompu le soutien américain aux Contras. En 1982, apprenant que ce soutien a repris, le Congrès vote l’Amendement Boland, complété en 1984, qui interdit à toute entité gouvernementale de soutenir, directement ou indirectement, les opérations paramilitaires au Nicaragua. Mais le National Security Council et la CIA contournent l’interdit pour entraîner, armer et financer secrètement les Contras retranchés au Honduras, avec pour résultat d’entretenir au Nicaragua une guerre civile qui fit encore 30 000 morts. Les armes livrées aux Contras provenaient en grande partie d’Israël, elles aussi : certaines avaient été confisquées à l’OLP durant l’invasion du Liban en 1982. D’autres étaient achetées en Pologne et Tchécoslovaquie et transitaient par la Yougoslavie. En Amérique latine, la filière passait par le Honduras, la Bolivie et Panama. Le 25 octobre 1984, l’Associated Press divulgue un manuel rédigé par la CIA à l’intention des Contras, intitulé Operaciones sicológicas en guerra de guerrillas (Psychological Operations in Guerrilla Warfare). On y apprend comment des « Équipes de Propagande Armées » peuvent bâtir un soutien politique pour la cause des Contras par l’intimidation, la violence et la manipulation de l’information. Le manuel recommande « l’usage sélectif de la violence pour des effets de propagande » et souligne que, pour « neutraliser » des hommes politiques, « on engagera si possible des criminels professionnels pour accomplir certaines missions sélectives spécifiques . » Pour retourner la population contre son gouvernement socialiste, il est conseillé de « [canaliser] les manifestants vers des affrontements avec les autorités, de provoquer des émeutes et des fusillades, qui conduiront à la mort d’une personne ou plus, qui seront vues comme des martyrs ; il faudra prendre avantage de cette situation immédiatement contre le gouvernement afin de créer des confilts plus grands encore . » C’est la technique qui sera employée mais échouera contre le président du Venezuella Hugo Chavez le 11 avril 2002.


Le dévoilement par la presse de l’affaire « Iran-Contra » fera scandale fin 1986. Une commission du Congrès inculpera, parmi une « cabale de fanatiques » n’éprouvant que « dédain pour le droit », le lieutenant-colonel Oliver North du National Security Council. Bush, qui a appris à ne plus laisser d’empreinte, échappera de peu à l’inculpation, malgré des témoignages de ses  contacts directs avec le Cubain Felix Rodriguez, l’un des hommes clés de l’opération au Nicaragua. On se souvient que Rodriguez est un vétéran de la Baie des Cochons, et à ce titre suspect dans l’assassinat de Kennedy. Une fois président, Bush pardonne à toutes les personnes mises en examen, et sa grâce présidentielle annule le procès dans lequel il aurait été appelé à témoigner.


Les opérations secrètes et illégales du gouvernement Reagan-Bush eurent aussi des répercutions importantes dans la République de Panama, un pays artificiellement arraché à la Colombie en 1903 par les Américains pour contrôler la future Zone du Canal. En 1978, Jimmy Carter a signé avec le président Omar Torrijos un traité prévoyant la cession de la Zone du Canal et l’évacuation des troupes d’occupation américaines au plus tard en 2000 et. Mais la CIA est en liaison étroite, depuis 1968, avec le bras droit de Torrijos et chef du Renseignement, le Commandant Manuel Noriega, dont le pouvoir s’appuie largement sur le narcotraffic. Huit mois après l’accession au pouvoir de l’équipe Reagan-Bush, le 31 juillet 1981, l’avion personnel de Torrijos explose en plein vol et Noriega s’impose comme le commandant suprême de l’armée et le chef effectif du pays. Tandis que le NSC et la CIA étendent leur action contre les sandinistes du Nicaragua, Noriega aide la livraison d’armes aux Contras. Le pont aérien qui, au départ de l’aéroport de Mena dans l’Arkansa, sert à livrer les armes à Panama, sert au retour à livrer la cocaïne achetée aux cartels colombiens, sous protection militaire. L’un des hommes clés de ce double trafic sur le terrain est un Israélien nommé Michael Harari, ancien chef des opérations clandestines au Mossad. Il s’est rendu indispensable à Noriega dès 1982 en assurant avec une équipe israélienne sa sécurité et la surveillance de ses ennemis, mais aussi le blanchiment de son argent de la drogue par l’intermédiaire de banques suisses. Harari a pour principal contact avec la CIA Felix Rodriguez. C’est ainsi que la CIA est devenue l’un des principaux acteurs de l’explosion du traffic et de la consommation de cocaïne dans les années 80, après avoir favorisé dans les années 70 le traffic de l’héroïne en provenance d’Asie, à l’occasion des guerres du Viêt Nam et d’Afghanistan, comme le révéla en 1997 le journaliste Gary Webb (Dark Alliance: the CIA, the Contras, and the Crack Cocaïne Explosion, 1999). 

 

Dans une tentative de désarmorcer le scandale Iran-Contra, Bush et l’administration Reagan décident de se retourner contre Noriega. En 1987 il est accusé officiellement de traffic de drogue et racket par les États-Unis. Le Senate Subcommittee on Terrorism, Narcotics and International Operations conclut que « La saga au Panama du général Manuel Antonio Noriega de Panama représente l’un des échecs les plus graves de politique étrangère des États-Unis. […] Il est clair que chaque agence gouvernementale américaine qui avait une relation avec Noriega a fermé les yeux sur sa corruption et son traffic de drogue, alors même qu’il était en train de devenir un acteur clé pour le compte du Cartel de Medellin [dont était membre le fameux Pablo Escobar] . » En décembre 1989, le président George Bush prend prétexte de l’exécution d’un soldat américain par des soldats panaméens pour envoyer 26 000 soldats dans le cadre de l’Opération Just Cause, qui entraîne des milliers de morts, majoritairement civils, et un exode estimé à 20 000 ou 30 000 personnes.

Le 30 mars 1981, le président Reagan est victime d’une tentative d’assassinat. On apprend le lendemain par le Houston Post, que "Bush’s Son Was to Dine with Suspect’s Brother". L’assassin John Hinckley est en effet le frère de Scott, invité le jour même (31 mars) à dîner chez Neil Bush, fils du vice-président. Neil Bush a séjourné durant l’année 1978 à Lubbock, Texas, où John Hinckley était étudiant. Jack Hinckley, le père de John et Scott, travaille pour World Vision, organisation paravent de la CIA. Cette coïncidence ne motiva aucune enquête, le geste de John Hinckley étant mis sur le compte de la folie. Dans sa cellule, Hinckley rédigea des notes relatives à un complot, qui furent jugées absurdes et détruites. Hinckley est confiné dans un hôpital psychiatrique jusqu’à ce jour. Encore un Manchurian candidate ?

Des éléments extrémistes assassinent un chef modéré de leur propre camp et accusent le camp ennemi. C’est également ce qui c’est passé au Rwanda en 1994, selon les conclusions récentes de la commission d’enquête. L’assassinat du président Juvénal Habyarimana par un missile terre-air, alors qu’il revenait d’une conférence de paix, fut instantanément attribué au Front Patriotique Rwandais des Tutsies, qui subirent pendant trois mois un véritable génocide (près d’un million de morts) ; en réalité, l’attentat avait été perpétré par la frange extrémiste du parti de Habyarimana, hostiles à sa politique de paix.

Après l’assassinat de Kennedy, le Cubain Felix Rodriguez travailla pour la CIA au Nicaragua puis en Bolivie, où il traqua Che Guevara. Il pose ici pour la postérité avec le Che le 9 octobre 1967 avant de le faire exécuter, gardant en trophée sa montre Rolex. Dans les années 70, il travailla au Vietnam pour l’Opération Phoenix, responsable de l’exécution d’environ 200 000 civils. Dans les années 80, on le retrouve impliqué dans le soutien illégal au Contras du Nicaragua, pour lequel il eut des contacts fréquents avec le vice-président Bush.

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

(comparaison et perspective)  

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​"Une pilule rouge pour Forrest Gump"​ â€‹â€‹ 

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