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Chapitre 2

Lyndon Johnson et la faille vice-présidentielle

Aucun doute ne subsiste sur la complicité passive du vice-président Lyndon Baines Johnson (LBJ), dont la carrière était déjà semée de plusieurs cadavres bien cachés. En 1959, Johnson avait tenté d’éliminer Kennedy de la course à l’investiture démocrate en volant ses dossiers médicaux dans le but de fuiter à la presse sa maladie d’Addison ; du moins fut-il soupçonné par les Kennedy d’être le commanditaire des cambriolages chez les deux médecins de Kennedy. Johnson s’était ensuite imposé comme colistier de Kennedy grâce à des preuves du libertinage de celui-ci que lui avait gracieusement fournies le patron du FBI Edgar Hoover, son ami et voisin de longue date. Hoover, surnommé Puppetmaster par son biographe Richard Hack, était un maître-chanteur aguerri ; c’est grâce à des armoires remplies de secrets compromettants qu’il s’est maintenu à la tête du FBI pendant 48 ans, sous 9 présidents, de 1924 jusqu’à sa mort à 72 ans. Il ne manqua pas de rappeler au président Kennedy à quel point il était irremplaçable : en février 1962, par exemple, sentant peser la menace d’une mise à la retraite, il rapporta à son supérieur hiérarchique l’Attorney General Robert Kennedy avoir appris au hasard d’une enquête que son frère le Président avait eu des relations avec la maîtresse du mafioso Sam Giancana, Judith Campbell Exner.


« Nous n’avions jamais considéré Lyndon, s’excusa un jour Kennedy à son assistant Hyman Raskin, mais ces bâtards essayaient de me coincer. Ils m’ont menacé de me causer des problèmes, et je n’ai pas besoin de problèmes supplémentaires . » Kennedy n’en a jamais dit davantage. À Pierre Salinger qui le questionnait, il répondit : « On ne connaîtra jamais toute l’histoire. Et c’est mieux ainsi . » Mais on peut se fier à celle qui fut sa secrétaire personnelle pendant douze ans, Evelyn Lincoln : « Jack savait que Hoover et LBJ aurait fait courir partout des histoires de femmes . » Kennedy se justifiait ainsi, rapporte son ami Kenneth O’Donnell : « J’ai quarante-trois ans [...], je ne vais pas mourir en fonction. Donc la vice-présidence n’a aucune importance . » Johnson, lui, voyait les choses autrement : à Clare Boothe Luce, qui lui demandait pourquoi il avait accepté ce poste, moins stratégique que celui de chef de la majorité au Sénat qu’il occupait jusqu’alors, il répondit : « Un président sur quatre est mort en fonction. Je suis joueur, chérie, et c’est ma seule chance . » Certains investigateurs comme Phillip Nelson pensent donc que lorsqu’il s’empara de la vice-présidence par le chantage, Johnson n’avait d’autre but que de s’emparer de la présidence par l’assassinat.


Trois ans après son élection, lorsque Kennedy avait pris la pleine mesure de l’hostilité d’une partie de son administration et des menaces qui pesaient sur sa vie, sa plus grande angoisse était de laisser la place à Johnson, ce riverboat gambler. Il s’en ouvrit à son épouse Jackie, qui le cite dans un long témoignage enregistré en 1964 mais rendu public seulement en 2011 : « Mon Dieu, peux-tu imaginer ce que deviendrait le pays si Lyndon était président  ? » Son frère Robert se souvient pareillement l’avoir entendu soupirer : « Est-ce que tu peux imaginer quelque chose de plus pathétique que Johnson essayant de gouverner les États-Unis  ? » John Kennedy était donc déterminé à changer de vice-président pour sa campagne de réélection en 1964. Quelques jours avant son voyage fatal à Dallas, il s’en était encore confié à sa secrétaire Evelyn Lincoln, en justifiant cette décision par sa volonté d’œuvrer « pour faire de la fonction publique une carrière honorable . » Johnson était en effet impliqué dans trois affaires de corruption remontant à son mandat de sénateur du Texas, entre 1949 et 1960. L’un de ses proches, le Navy Secretary Fred Korth, venait de démissionner après que le Justice Department l’ait impliqué dans l’attribution frauduleuse à l’entreprise texane General Dynamics d’un marché de sept milliards pour la construction de l’avion militaire TFX (le plus gros marché d’armement à cette époque). Le secrétaire de Johnson, Bobby Baker, était inculpé pour la même affaire, et un de ses associés, du nom de Don Reynolds, témoignait contre lui le 22 novembre précisément devant une commission sénatoriale (Senate Rules Committee) ; il avait vu circuler une valise de 100 000 dollars de commission occulte destinée à Johnson, et prétendait en outre que ce dernier avait tenté d’acheter son silence. L’inculpation de Baker faisait le gros titre de l’hebdomadaire Life quelques jours avant le 22 novembre : « La bombe Bobby Baker: [...] Le scandale enfle à Washington . » Un article plus dévastateur encore était programmé pour le numéro suivant, comme le révélera James Wagenvoord, alors assistant en chef du directeur de projet de Life, au chercheur John Simkins : « ça allait faire exploser Johnson. On le tenait. Il était fini. [...] Johnson aurait été démoli et éliminé de la course pour 1964, et il aurait probablement fait de la prison . » Au lieu de cet article, Life publia 31 images du film de Zapruder, mais dans un ordre modifié qui permettait à la rédaction de présenter ces images comme u
ne validation de la thèse officielle du tir provenant de l’arrière.



Se trouvant à Dallas la veille de la visite du Président, Nixon en profita pour ébruiter, dans une conférence, la rumeur de l’éviction de Johnson, comme le rapporta le Dallas Morning News du 22 novembre : « Nixon Predicts JFK May Drop Johnson. » Au lieu de cela, Johnson devint président le jour même. La mort du président propulsa le vice-président à la tête de l’État et, dans le climat de crise nationale ainsi créé, lui permit d’intimider la justice et la presse tout en réalisant l’ambition de sa vie. Beaucoup d’Américains soupçonnèrent immédiatement Johnson d’être impliqué dans l’assassinat, surtout au Texas où ses méthodes et sa personnalité étaient mieux connues. Mais la population fut vite rassurée en constatant que le nouveau maître de la Maison Blanche conservait intact le gouvernement de son prédécesseur, et qu’aucun des proches de Kennedy ne contesta publiquement la thèse officielle. Qui pouvait imaginer que tous ces ministres et conseillers, certains amis intimes de Kennedy, aient pu trahir leur héros ? Dans leur majorité, ces fidèles de Kennedy eux-mêmes ne pouvaient croire à la responsabilité de Johnson et se laissèrent convaincre de rester unis au nom de l’intérêt national : « J’ai encore plus besoin de vous que lui , » répétait-il à chacun d’entre eux. Après tout, Edgar Hoover lui-même garantissait qu’Oswald avait agi de sa seule initiative. L’affaire était classée. Il fallait assurer la continuité du gouvernement, au moins jusqu’à la fin du mandat présidentiel, un an plus tard.


Plusieurs personnes ont directement incriminé Johnson dans le crime de Dallas, à commencer par Jack Ruby lui-même, à demi-mots, dans une conférence de presse donnée en mars 1965 depuis sa prison : « Si Adlai Stevenson avait été vice-président, il n'y aurait jamais eu d'assassinat de notre président Kennedy bien-aimé . » Ruby précisa son accusation dans une lettre de seize pages qu’il réussit à faire sortir de prison, peu avant de mourir d’un cancer foudroyant en 1967. L’une des maîtresses de Johnson, Madeline Brown, répète à qui veut l’entendre que Johnson lui aurait confié le 21 novembre 1963 : « demain ces fichus Kennedy ne m’embarrasseront plus jamais ; ce n’est pas une menace, c’est une promesse . » Il est vrai que les principaux témoins à charge contre Johnson sont des gens peu fiables. On compte encore parmi eux Billie Sol Estes, un affairiste texan véreux qui tenta en vain de négocier l’indulgence de ses juges en échange d’informations sur cinq autres meurtres commandités par Johnson, dont celui de sa propre sœur, dont les mœurs dissolues nuisaient à sa carrière. Certains chercheurs sont d’avis que ces témoignages ont été achetés pour détourner les soupçons des vrais coupables, et qu’ils participent d’une même stratégie d’intoxication que les tentatives d’incriminer la mafia.


Tout bien considéré, il paraît peu probable que Johnson soit le cerveau du complot. Mais il est impensable que les comploteurs aient agi sans l’assurance préalable qu’il les couvrirait, et il est fort possible qu’il intervint personnellement dans la préparation du guet-apens dans son propre État. Après tout, Kennedy fut assassiné au Texas pour mettre un Texan au pouvoir, et l’on sait à quel point le Texas continue de nourrir, un siècle après la Guerre de Sécession, un sentiment d’aliénation vis-à-vis de Washington et de l’élite de la Côte Est. Johnson entretenait une relation proche avec certains agents du Secret Service, lequel avait défini la route suivie par le convoi présidentiel à Dallas et se rendit coupable de graves négligences dans la sécurité ce jour-là. L’un de ces agents, Joseph Shimon, confia à sa fille Toni au printemps 1963 (laquelle en fit part au journaliste Peter Janney en 2007) : « Le vice-président m’a demandé de lui assurer plus de sécurité qu’au président, » lui laissant deviner que « Quelque chose va arriver et Johnson est au courant . » Il est par ailleurs établi qu’après Dallas, Johnson pesa de toute son autorité nouvellement acquise pour imposer la thèse du tireur solitaire, en ordonnant à la police de Dallas de cesser toute enquête dès le 22 novembre, allant jusqu’à téléphoner personnellement à l’hôpital de Dallas le 24 novembre, pour exiger du chirurgien qui s’efforçait de sauver la vie d’Oswald qu’il se contente d’obtenir de lui « a death-bed confession ». Dans cette démarche d’obstruction à la vérité, Johnson reçut le soutien entier d’Edgar Hoover, qui fuita ses conclusions à la presse avant même que la Commission Warren ne se mette au travail : personne ne pouvait contredire Hoover. Hoover n’en était pas à son premier cover-up : n’avait-il pas, jusqu’en 1956, nié l’existence du crime organisé, alors que celui-ci dominait la vie politique de mégapoles comme Chicago ?


Le rôle trouble de Johnson dans le crime de Dallas soulève une question plus générale sur le rôle du vice-président dans la politique états-unienne. La vice-présidence est une fonction si mal définie et mal contrôlée que certains analystes y voient une faille constitutionnelle fatale. Le vice-président n’a aucun rôle exécutif officiel tant que le président est en fonction, et il échappe donc aisément à toute responsabilité. Cela a permis à certains vice-présidents d’exercer une influence occulte sans avoir de compte à rendre, et d’utiliser leur position comme une porte dérobée vers le pouvoir suprême. Pour commencer, le choix du vice-président échappe largement aux électeurs, puisqu’il résulte de tractations obscures après les primaires. En cas de décès du président, le peuple américain se trouve donc gouverné par un homme qu’il n’a pas véritablement choisi et qu’il connaît mal. Et si le président élu finit son mandat, le vice-président, depuis la Maison Blanche, a eu tout loisir de s’assurer l’avantage dans la course présidentielle, en plus de la bénédiction du président sortant. Tout cela fait naturellement de la vice-présidence un poste convoité par les intriguants. C’est un fait historique que les présidents américains passés par la vice-présidence ont tous démontré un penchant pour le complot et la dissimulation. Trois d’entre eux tiendront une place importante dans notre histoire, car ils sont liés au crime de Dallas et à ses répercutions : Richard Nixon, George Bush senior et Dick Cheney.

Selon la biographie de Robert Caro en trois volumes, Johnson était un homme assoiffé de pouvoir, « le pouvoir dans sa forme brute, non pas le pouvoir pour améliorer la vie des autres, mais pour les manipuler et les dominer, pour les plier à sa volonté […], une faim si sauvage et dévorante qu’aucune considération de moralité ou d’éthique, aucun prix pour lui-même — ou pour quiconque d’autre — ne peut l’arrêter . »

Au départ de la limousine présidentielle à l’aéroport de Love Field à Dallas, l’agent du Secret Service Henry Rybka exprime son incompréhension en recevant l’ordre de ne pas se poster sur le marchepied arrière de la limousine, comme l’exige le protocole.

Roger Craig, policier en service à Dallas le 22 novembre, trouvait suspect l’ordre reçu par sa brigade « de ne prendre aucune part quelle qu’elle soit dans la sécurité du convoi  » et en avait trop vu pour croire à la théorie du tireur solitaire. Refusant de se taire, il fut renvoyé en 1967, échappa à trois tentatives de meurtres qui le laissèrent handicapé, et fut retrouvé « suicidé » le 15 mai 1975, avant de pouvoir témoigner devant le HSCA.

Johnson insista pour prêter serment dès l’annonce de la mort de Kennedy, dans l’avion présidentiel Air Force One stationné à Dallas. Il réussit à faire poser à ses côtés la veuve du président défunt, pour une photo qui contribua fortement à le légitimer aux yeux de l’opinion publique. Sur le cliché ci-desous, pris immédiatement après celui diffusé dans la presse, certains croient voir Johnson faisant un clin d’œil au sénateur Albert Thomas.

« Johnson ment tout le temps. Je te le dis, il ment continuellement, sur tout. Dans chaque conversation que j’ai avec lui, il ment. Comme je l’ai dit, il ment même quand il n’en a pas besoin . » Ainsi parlait Robert Kennedy, réputé pour savoir juger les hommes.

Abraham Bolden fut recruté personnellement par John Kennedy dans le Secret Service de la Maison Blanche. Victime du racisme de ses collègues, il démissionna trois mois plus tard. Pour avoir dénoncé devant la Commission Warren les manquements du Secret Service, il fut inculpé en mai 1964 sous une fausse charge, condamné à six ans de prison et mis à l’isolement psychiatrique. Le HSCA lui donnera raison: « Le Secret Service a été déficient dans l’accomplissement de son devoir . »

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

(comparaison et perspective)  

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​"Une pilule rouge pour Forrest Gump"​ â€‹â€‹ 

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