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Le 22 novembre 1963 à midi trente, alors qu’il parade à Dallas avec son épouse dans une limousine décapotable, John Fitzgerald Kennedy est atteint de deux balles. La première lui transperce la gorge, la seconde lui arrache une partie arrière du crâne, éclaboussant de sa cervelle le motard le plus proche. Le convoi ayant dévié du trajet annoncé dans le Dallas Morning News, la foule est ici clairsemée, mais après quelques secondes de stupeur, des dizaines de témoins et quelques policiers se précipitent vers le talus herbeux (grassy knoll) surmonté d’une palissade, sur la droite en face de la limousine, d’où proviennent les coups de feu. Ils sont refoulés par des hommes munis d’identification du Secret Service (le service de sécurité attaché au Président et aux membres du gouvernement).


À une heure, le décès du président Kennedy est prononcé à l’Hôpital Parkland de Dallas, mais des membres du Secret Service empêchent le médecin légiste attitré, Earl Rose, de pratiquer l’autopsie comme le prévoit la loi. Ils embarquent le corps sur l’avion présidentiel Air Force One pour être autopsié à l’Hôpital Bethesda de la Navy à Washington, par un médecin militaire inexpérimenté (James Hulmes) encadré de hauts gradés et d’agents fédéraux. Le rapport d’autopsie établira que la balle mortelle est entrée par l’arrière du crâne.


Auparavant, Lee Harvey Oswald aura été arrêté dans un cinéma de Dallas et aussitôt présenté à la télévision comme l’unique assassin. Il aurait tiré trois balles en moins de 6 secondes, avec un fusil militaire à verrou de 1940 (acheté par correspondance), depuis le sixième étage du School Book Depository, un bâtiment que la limousine présidentielle avait dépassé au moment des tirs. Le lendemain, Oswald saisit plusieurs occasions de clamer son innocence devant les caméras : « I didn’t shoot anybody », « I’m just a patsy », se désignant ainsi comme un pion, un pigeon ou un lampiste manipulé par les vrais coupables. Le 24 novembre à onze heures vingt, dans un couloir du commissariat de Dallas, il est réduit au silence par Jack Ruby, un patron de boites à strip-tease connecté à la mafia et au FBI.


Pour apaiser les soupçons de complot, le vice-président devenu président, Lyndon Johnson, désigne le 29 novembre une commission d’enquête, qui dépense 10 millions de dollars et emploie 400 personnes, avec pour consigne officieuse de faire taire les « rumeurs » conspirationnistes et confirmer les conclusions du FBI en un volume illisible de 16 000 pages. La commission est présidée officiellement par Earl Warren, le Chief Justice (le plus haut magistrat fédéral), mais elle est contrôlée en pratique par Allen Dulles, l’ancien patron de la CIA limogé par Kennedy en 1961. Ainsi l’enquête sur l’assassinat est-elle menée en sous-main par le pire ennemi de la victime. Dans son ensemble, la presse mainstream se satisfait du rapport de la Warren Commission. Aucun des amis que comptait Kennedy dans la presse ne dénonce une imposture. Pas même Ben Bradlee, directeur exécutif du Washington Post et ami de longue date du Président, qui publiera en 1975 ses Conversations with Kennedy ; son journal, dont la direction est proche de la CIA, qualifia le rapport de « chef-d’œuvre dans son genre » (masterpiece of its kind). Tout au plus quelques articles trouvent à redire à ses invraisemblances les plus criantes, dues notamment à la nécessité d’attribuer cinq blessures à trois balles seulement, pour préserver le postulat du tireur unique (lone gunman). Un an plus tard, les électeurs confirment leur confiance à Johnson. L’Amérique a fait son deuil du jeune président qui avait incarné avec charisme ses idéaux les plus nobles, en se donnant comme but de mettre fin à la Guerre froide et d’engager le monde vers le désarmement nucléaire. Il peut rejoindre le rayon des icônes glamour aux côtés de Marilyn Monroe, sa célèbre amante hollywoodienne.


Bien des gens ont su depuis le premier jour qu’on leur cachait une terrible vérité. Mais le traumatisme, le sentiment diffus d’une grave menace pesant sur la nation, et surtout la rareté des voix discordantes dans la presse, ont lié les langues. Les témoignages qui contredisent la thèse officielle sont ignorés ou étouffés par la menace ou la violence. Ainsi, vingt-et-un membres du personnel hospitalier de Dallas qui avaient constaté deux entrées de balles frontales sur le corps de Kennedy finissent par se taire. Deux médecins, Malcolm Perry et Kemp Clark, qui avaient exprimé cette conclusion dans une conférence de presse à l’hôpital à 3 h 15, se rétractent devant la Commission Warren, tout comme le docteur Charles Crenshaw qui attendit 1992 pour écrire : « D’après les blessures que j’ai vues, il n’y avait aucun doute dans mon esprit que la balle avait pénétré l’avant de la tête  », ce qui innocente Oswald qui se trouvait alors derrière le président. Le médecin explique ainsi son silence de presque trente ans dans son livre JFK: Conspiracy of Silence : « J’avais aussi peur des hommes en costume que des hommes qui avaient assassiné le Président. [...] Je me disais que ceux qui étaient prêts à éliminer le président des États-Unis n’hésiteraient sûrement pas à tuer un docteur. » À l’hôpital militaire de Washington, le contrôle est plus efficace encore, comme l’expliqua en 1969 le médecin lieutenant-colonel Pierre Finck : « Il y avait des amiraux, et quand vous êtes lieutenant-colonel dans l’armée, vous suivez les ordres. » L’aide-soignant James Jenkins, également présent, confirme : « Nous étions tous militaires, nous étions sous contrôle. Et s’ils ne pouvaient pas nous contrôler, ils pouvaient nous punir ; ça suffisait à nous tenir éloignés du public. »


Même les amis les plus proches de Kennedy firent taire leurs doutes, ceux par exemple qu’il appelait par dérison son Irish mafia (« la présidence n’est pas un bon endroit pour se faire de nouveaux amis. Je vais garder mes anciens amis  »). Kenny O’Donnell et Dave Powers, par exemple, qui se trouvaient dans la limousine immédiatement derrière celle de Kennedy, étaient certains qu’au moins deux tirs avaient été tirés de derrière la palissade du grassy knoll. Mais, expliquera O’Donnell à Tip O’Neill (qui rapporte cette conversation dans ses mémoires, Man of the House, 1987) : « J’ai dit au FBI ce que j'avais entendu, mais ils me dirent que ça n'avait pas pu arriver ainsi et que j’avais dû imaginer des choses. Et donc, j’ai témoigné comme ils voulaient que je le fasse. Je ne voulais pas atiser la douleur de la famille en compliquant les choses . » Dave Powers, qui deviendra conservateur du Musée Kennedy à Boston, confirmera cette version dans une émission de radio en 1991.


La vérité, cependant, ne meurt jamais tout à fait. Inlassablement, depuis cinquante ans, une guérilla de chercheurs intrépides mène l’enquête. Certains ont consacré leur vie — et quelques-uns l’ont perdue — à la recherche de la vérité, pour réunir une quantité considérable d’indices et témoignages. Dès 1964, la France fut sur la ligne de front de ce combat, avec les articles de Thomas Buchanan dans L’Express, puis ceux de Raymond Cartier dans Paris Match, lequel donnait raison aux Européens convaincus que « le drame de Dallas cachait un mystère qui, s’il était révélé, déshonorerait les États-Unis et ébranlerait ses fondements. » Parmi les investigateurs américains de la première heure se trouvait un jeune avocat du nom de Mark Lane : moins d’un mois après l’assassinat, après avoir réuni un Citizens Committee of Inquiry pour interviewer les témoins directs du crime, il contesta la thèse officielle dans un article du Gardian, puis dans un livre, Rush to Judgment. Earl Warren se souvient de son acharnement : « Nous avons eu très peu de contestations, sauf de la part de ce type nommé Mark Lane. C’est le seul qui traitait la Commission avec mépris.»  La contestation se fit plus menaçante en 1967, lorsqu’une enquête ouverte par le procureur de la Nouvelle Orléans Jim Garrison leva un coin du voile sur l’implication de la CIA. Garrison obtint de visionner le film d’Abraham Zapruder, un spectateur de Deley Plaza qui avait saisit l’assassinat en huit-millimètres ; ce film, confisqué par le FBI le jour même, prouve que la balle mortelle provenait bien du grassy knoll, en face du président, et non du School Book Depository situé dans son dos. L’enquête de Garrison souffrit cependant d’une campagne de diffamation contre sa personne et de la mort mystérieuse de ses deux principaux témoins, Guy Banister et David Ferrie.


En 1968, Robert Kennedy, qui tenait dans le gouvernement de son frère aîné le poste de ministre de la Justice (Attorney General), présente sa candidature à l’investiture démocrate. Parmi tous ceux qui ont pleuré John Kennedy, l’espoir naît de voir Bobby reprendre possession de la Maison Blanche et, de là, rouvrir l’enquête. Bien qu’il reste discret sur le sujet, ses amis proches savent que c’est bien son intention. Sur un campus en mars 1968, il lâche : « Les archives seront rendues publiques en temps voulu. » Il est assassiné le 6 juin 1968 à Los Angeles, juste après l’annonce des résultats des primaires de Californie qui faisaient de lui le favori pour l’investiture démocrate. Le Républicain Richard Nixon, qui avait été battu par John Kennedy en 1960, remporte cette fois la présidence sans difficulté.


Dans les années 70, le scandale du Watergate motiva la formation d’une commission sénatoriale chargée d’enquêter sur les agissements illégaux de la CIA, le Church Committee, puis une autre sur les assassinats de John Kennedy et Martin Luther King, le House Select Committee on Assassinations (HSCA). Mais en raison d’obstacles juridiques, de pressions et d’une nouvelle vague de décès parmi les témoins clés, les rapports de ces commissions n’aboutirent qu’à de timides remises en question ; au moins fut-il formellement établi par le HSCA qu’Oswald n’était pas le seul tireur, que par conséquent il y avait eu probable conspiracy, que la Commission Warren « avait omis d’investiguer de possibles complots » et que la CIA « avait été défaillante dans le partage de l’information . »  En mars 1975, le public découvrit également le film de Zapruder sur la chaîne ABC. Depuis, une majorité d’Américains croient à un cover-up de l’État, en dépit du ridicule jeté sur les conspiracy theories par les mainstream media. En 1991 l’enquête de Garrison secoua à nouveau l’opinion publique grâce au film à succès que lui consacra le réalisateur Oliver Stone. La polémique déboucha sur l’adoption du President John F. Kennedy Assassination Records Collection Act pour la déclassification des archives secrètes, et sur la formation du U.S. Assassination Records Review Board, qui enquêta jusqu’en 1998 et fit comparaître sous serment des témoins encore jamais auditionnés. Durant tout ce temps, des ouvrages, articles et sites internet continuèrent d’apporter des pierres nouvelles à l’édifice de la vérité. Aujourd’hui, en dépit de quelques efforts dérisoires pour sauver la thèse gouvernementale du tueur solitaire, la vérité est accessible, dans ses grandes lignes, à qui veut l’entendre.

Chapitre 1

Dallas, 22 novembre 1963

Une affiche placardée sur les murs de Dallas avant l’arrivée de Kennedy, qui donne une idée de l’hostilité de certains milieux du Lone Star State. « Cet homme est recherché pour activités de trahison contre les États-Unis . » En s’envolant pour Dallas ce matin-là, contre l’avis de plusieurs amis, John dit à son épouse Jacqueline : « On part pour le pays des fous. Mais Jackie, si quelqu’un veut m’abattre depuis une fenêtre avec un fusil, personne ne peut l’empêcher, et donc pourquoi s’en inquiéter  ? »

Le film 8mm d’Abraham Zapruder, montrant la tête de Kennedy projetée en arrière par la balle fatale, ainsi que le réflexe désespéré de Jacqueline pour rattraper la portion du crâne de son époux. L’agent Clint Hill du Secret Service fut le seul à se précipiter et grimper sur le marchepied.

Vue aérienne de Dealey Plaza et du virage à plus de 90° que dût effectuer le convoi présidentiel, l'obligeant à ralentir à 20km/h entre le School Book Depository (au centre) et le "grassy knoll" (à gauche) dans un espace entouré d'immeubles et bordé d'une palissade, sans aucune protection.

Jack Ruby, ancien trafiquant d'armes et membre de la pègre de Chicago, liquide Lee Harvey Oswald sous l’œil des caméras dans le couloir du commissariat de Dallas. 

La fameuse "magic bullet" qui, selon la Commission Warren, aurait causé deux blessures à Kennedy (dos et gorge) et trois à John Conally assis devant lui (dos, poignet et hanche), pour finalement émerger intacte sur un chariot de l’hôpital Parkland. Cette théorie fantastique découle du  postulat du tireur unique, sachant que toutes les balles ont été tirées en moins de 5,6 secondes (d'après le chronométrage du film de Zapruder), qu’il fallait à Oswald au minimum 2,3 secondes pour recharger son fusil (sans viser), et qu’une balle au moins a raté sa cible et heurté le bitume.

La célèbre journaliste Dorothy Kilgallen est retrouvée morte d’une overdose d’alcool et de barbituriques le 8 novembre 1965, après avoir interviewé Jack Ruby et obtenu la copie de sa déposition devant la Commission Warren, et après avoir annoncé être sur le point de « dévoiler l’histoire vraie » et publier « le plus gros scoop du siècle ». En 1959, elle avait déjà révélé le contrat passé par la CIA avec la mafia pour assassiner Castro. Sa dernière phrase publiée dans la presse disait de l’affaire Kennedy : « Cette histoire ne mourra pas, tant qu’il y aura un vrai reporter vivant, et il y en a encore beaucoup de vivants . »

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

(comparaison et perspective)  

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​"Une pilule rouge pour Forrest Gump"​ â€‹â€‹ 

Le pacte faustien qui assura la carrière de Dan Rather à CBS. Le 25 novembre, après avoir prétendument visionné le film de Zapruder, il affirme, geste à l'appui qu' "on pouvait voir la tête du Président projetée violemment vers l'avant".  

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