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Chapitre 27

La Bible et l'Empire

À l’évidence, les stratèges du Likoud et leurs alliés néoconservateurs ont l’intention de léguer comme héritage à l’humanité une guerre mondiale d’anéantissement contre la civilisation islamique. Comment expliquer un tel hubris ? Une explication tient à la nature même de l’État d’Israël et le rôle dirigeant qu’y a toujours tenu son appareil militaire, équivalent du National Security State états-unien. David Ben Gourion, qui cumulait les fonctions de premier ministre et de ministre de la Défense, l’avait voulu ainsi, car il savait que le destin d’Israël reposait prioritairement sur sa capacité d’écraser la résistance arabe : « Pourquoi les Arabes feraient-ils la paix ? Si j’étais un chef arabe, je ne passerais jamais d’accord avec Israël. C’est naturel : […] nous sommes venus ici et leur avons vole leur pays. Pourquoi accepteraient-ils cela? Ils oublieront peut-être dans une ou deux generations, mais pour le moment il n’y a aucune chance. Donc, c’est simple: nous devons rester forts et maintenir une armée puissante. Toute notre politique est là. Sinon, les Arabes nous feront disparaître  » (Nahum Goldmann, The Jewish Paradox: A Personal Memoir, 1978). Par la force des choses, Israël est un état sécuritaire.


C’est aussi un État colonisateur, dont l’appareil sécuritaire est naturellement expansionniste. Même lorsque Levi Eshkol remplaça Ben Gourion en 1963 au poste de premier ministre, son gouvernement ne put s’opposer à la volonté des généraux d’annexer de nouveaux territoires, comme le révéla Ariel Sharon au journaliste Ze’ev Schiff peu après la guerre des Six Jours : « On aurait pu enfermer les ministres dans une pièce et partir avec la clé. On aurait pris les décisions appropriées et personne n’aurait su que les événements étaient le résultat de décisions prises par les principaux généraux  » (Ha’aretz du 1er juin 2007).


Sharon est l’homme qui, aux yeux d’Israël et du monde, incarne le mieux l’esprit de l’appareil sécuritaire et militaire israélien. Il avait commandé l’Unité 101 qui le 14 octobre 1953 rasa le village de Qibya en Jordanie, tuant 69 civils dans le dynamitage de leurs maisons. En 1956, durant la crise du canal de Suez, une unité sous son commandement avait fait exécuter plus de 200 prisonniers égyptiens et civils soudanais. En 1971, chargé de mettre un terme à la résistance dans la Bande de Gaza, ses troupes tuent plus de 100 civils palestiniens. Et en septembre 1982, c’est en tant que  ministre de la Défense qu’il lance l’invasion du Liban, où le massacre de deux camps de réfugiés palestiniens de Beyrouth-Ouest lui vaut le surnom de « boucher de Sabra et Chatila ». Le premier ministre est alors Menachem Begin, qui fut le chef de la milice terroriste de l’Irgoun et coordonna aussi bien l’attaque de l’hôtel King David en 1946 que le massacre de Deir Yassin en 1948.


Le Likoud de Begin, Sharon et Netanyahou n’a jamais cessé de militer pour le Grand Israël et contre le projet d’État palestinien. Lorsqu’il est ministre des Affaires étrangères de Netanyahou de 1996 à 1999, Sharon qualifie les Accords d’Oslo de « suicide national » et se prononce pour les « frontières bibliques », encourageant les colonies illégales : « Chacun doit se précipiter et s’emparer de toutes les collines qu’il peut pour élargir les colonies, parce que tout ce que nous prendrons maintenant restera à nous , » déclare-t-il le 15 novembre 1998. Lorsqu’il arrive au pouvoir en février 2001, tandis que Netanyahou devient à son tour ministre des Affaires étrangères, Sharon sabote volontairement le processus de paix et déclenche la seconde intifada par ses provocations calculées. Tandis que le 28 mars 2001, 22 nations réunies à Beyrouth sous l’égide de la Ligue Arabe s’engagent à reconnaître Israël sous condition d’application de la Résolution 242, le lendemain, l’armée israélienne envahit Ramallah et assiège Yaser Arafat dans son QG. Six mois plus tard, le 11-Septembre porte le coup de grâce à tout espoir de paix.


Le Likoud et ses alliés politiques chez les religieux extrémistes ne sont pas seulement opposés à la partition de la Palestine. Ils sont animés d’une vision quasi impériale du destin d’Israël. Ariel Sharon l’exprime en décembre 1981 dans un discours en hébreu destiné à l’Institute for Strategic Affairs de l’Université de Tel Aviv : « Au delà des pays arabes au Moyen Orient et sur les rives de la Méditerranée et de la Mer rouge, nous devons étendre le champ des préoccupations stratégiques et sécuritaires d’Israël dans les années 80 pour y inclure des pays comme la Turquie, l’Iran, le Pakistan, et des zones comme le Golfe persique et l’Afrique, et en particulier les pays de l’Afrique du Nord et du Centre . » Ce discours (ici dans une traduction du Journal of Palestine Studies) sera annulé en raison de la controverse sur l’annexion des territoires syriens du Plateau du Golan, mais sera publié peu après dans le quotidien Ma’ariv. Cette « doctrine Sharon » se retrouve dans un certain nombre de textes en hébreu que le dissident Israel Shahak a traduit en anglais dans Open Secrets : Israeli Nuclear and Foreign Policies (1997). Dans un essai intitulé « A Strategy for Israel in the Eighties » écrit pour la World Zionist Organisation en février 1982, Oded Yinon, ancien haut-fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, prône une stratégie de contrôle du Moyen Orient passant par la fragmentation de tous les voisins d’Israël, à commencer par le Liban : « La désintégration totale du Liban en cinq gouvernements régionaux localisés constitue le précédent pour le monde arabe tout entier, y compris l’Égypte, la Syrie, l’Irak et la péninsule arabique, d’une manière similaire. La dissolution de l’Égypte et plus tard de l’Irak en différents districts de minorités ethniques et religieuses selon l’exemple du Liban, est l’objectif d’Israël à long terme sur le front Est. L’affaiblissement militaire actuel de ces États est l’objectif à court terme. La Syrie se désintégrera en plusieurs États suivant la ligne de sa structure ethnique et sectaire, comme cela se passe aujourd’hui au Liban . »


L’idéologie qui sous-tend la stratégie du Likoud et de ses alliés néoconservateurs est une version intrangisante du sionisme. Le sionisme, comme son nom l’indique (Sion est le nom donné 152 fois à Jérusalem dans la Bible hébraïque), est avant tout un rêve biblique : « La Bible est notre mandat, » proclama Chaim Weisman, futur premier président d’Israël, à la Conférence de Versailles en 1919. Dans l’Allemagne de la fin du 19ème siècle, la notion biblique de « peuple élu » a été traduite par les pères fondateurs du sionisme dans l’idéologie raciale dominante, en concurrence avec le fantasme pangermanique de la race supérieure aryenne. Le sionisme s’oppose alors, comme le nazisme, à la tendance assimilationniste de la majorité des juifs allemands. Zeev Jabotinsky écrit dans Le Mur d'Acier en 1923, deux ans avant le Mein Kampf d’Hitler : « Un juif élevé au milieu d’Allemands peut certes adopter les coutumes allemandes, la langue allemande. Il peut devenir totalement imprégné de ce fluide germanique, mais il restera toujours un juif, parce que son sang, son organisme et son type racial, sur le plan corporel, sont juifs. » On sait aujourd’hui que cette revendication raciale est dénuée de fondement scientifique :
les colons israéliens issus d’Europe de l’Est ne peuvent prétendre à aucune ascendance biologique parmi les anciens Hébreux de Judée ou de Samarie, contrairement aux Palestiniens qu’ils ont expulsés de leurs terres ancestrales, et contrairement aux juifs sépharades d’Afrique du Nord, qualifiés de « déchets humains » par le premier ministre Levi Eshkol et soumis dans les années 50 à des mesures eugéniques (Haim Malka, Selection and Discrimination in the Aliya and Absorption of Moroccan and North African Jewry, 1948-1956, 1998).



Le sionisme extrême de Zev Jabotinsky, partisan d’une colonisation de la Palestine sans concession, est une clé aussi importante que le machiavélisme de Leo Strauss pour décrypter la mentalité des hommes qui Å“uvrent au projet sioniste, en Israël et depuis les États-Unis. Elle est, au minimum, indispensable pour comprendre les visées ultimes de Benjamin Nétanyahou, dont le père, Ben Zion Netanyahu (né Mileikowsky à Varsovie) était le secrétaire personnel de Jabotinsky. Le 31 mars 2009, Netanyahou a nommé aux Affaires étrangères Avigdor Lieberman, issu du parti Yisrael Beiteinu qui se présente comme « un mouvement national avec la claire vision de suivre le chemin glorieux de Zev Jabotinski . » Lieberman plaide pour « combattre le Hamas comme les États-Unis ont combattu les Japonais durant la Seconde guerre mondiale. » Le sionisme a survécu à son concurrent le nazisme parce que, après la guerre, il a su capitaliser sur la terrible persécution des juifs d’Europe et usurper la représentativité de la communauté juive. Il a dû pour cela faire oublier sa collaboration active durant les années 30 avec le régime nazi, qui voyait alors dans l’immigration des juifs en Palestine la « solution au problème juif » (voir Lenni Brenner, 51 Documents: Zionist Collaboration with the Nazis, 2009). 



Mais la légitimité dont a continué à jouir le sionisme s’appuyait aussi sur son ancrage biblique. Bien qu’agnostique, David Ben Gourion (né Grün), était habité par l’histoire biblique, au point d’adopter le nom d’un général judéen ayant combattu les Romains. « Il ne peut y avoir aucune éducation politique ou militaire valable sans une connaissance profonde de la Bible  », répétait-il (Dan Kurzman, Ben-Gurion, Prophet of fire, 1984). Envisageant une attaque contre l’Égypte dès 1948, il écrit dans son journal : « Ce sera notre vengeance pour ce qu’ils ont fait à nos aïeuls à l’époque bibliques » (Ilan Pappé, Le Nettoyage ethnique de la Palestine, 2008). Le nettoyage ethnique planifié par Ben Gourion en 1947-48, qui fit fuir 750 000 Palestiniens, soit plus de la moitié de la population native, rappelle celui ordonné par Yahvé à l’encontre des Cananéens : « faire table rase des nations dont Yahvé ton Dieu te donne le pays, les déposséder et habiter leurs villes et leurs maisons » (Deut 19:1) et, dans les villes qui résistent, « ne rien laisser subsister de vivant » (20:16).


Ce rêve biblique insufflé par Yahvé à son peuple élu n’est pas seulement un rêve racial et national qui déclare les Canaanéens (les Palestiniens autochtones) tout juste bons à être « exterminés sans pitié » (Josué 11:20) ou réduits à l’esclavage (Genèse 9:24-27). C’est très clairement un rêve impérial, qui repose sur un double fantasme : le mythe du Royaume de Salomon (dont les archéologues renoncent aujourd’hui à trouver la moindre trace) et la prophétie de Jérusalem comme centre rayonnant du monde futur. On évoque souvent ces vers du deuxième chapitre d’Isaïe (repris dans Michée 4:1-3) comme preuve que le message prophétique est pacifique : « Ils briseront leurs épées pour en fait des socs, et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à faire la guerre. » Mais on omet généralement les vers précédents, qui indiquent que ce temps de paix ne viendra que lorsque « toutes les nations » rendront hommage à la « à montagne de Yahvé, à la Maison du Dieu de Jacob », lorsque Yahvé, depuis son Temple, « jugera entre les nations. » Cette vision d’un Nouvel Ordre Mondial centré sur Jérusalem fait vibrer les cercles likoudiens et néoconservateurs. Lors du Sommet de Jérusalem qui s’est tenu du 12 au 14 octobre 2003 dans le lieu symbolique de l’hôtel King David de Jérusalem, une alliance fut scellée entre sionistes juifs et chrétiens autour d’un projet « théopolitique » faisant d’Israël, selon la 
« Déc​laration de Jérusalem Â» publiée sur le site du Sommet, « la clé de l'harmonie des civilisations Â», en remplacement des Nations Unies, devenue « une confédération tribalisée détournée par des dictatures du Tiers-Monde » : « L'importance spirituelle et historique de Jérusalem lui confère une autorité spéciale pour devenir le centre de l'unité du monde. [...] Nous croyons que l'un des objectifs de la renaissance divinement inspirée d'Israël est d'en faire le centre d'une nouvelle unité des nations, qui conduira à une ère de paix et de prospérité, annoncée par les prophète. » Trois ministres israéliens en exercices se sont exprimés à ce sommet, dont Benjamin Netanyahou, et Richard Perle, invité d'honneur, reçut à cette occasion le Prix Henry Scoop Jackson.


Le rêve biblique d’empire passe par le cauchemar d’une guerre mondiale. Le prophète Zacharie, souvent cité sur les forums sionistes, prédit dans son chapitre 14 que Yahvé combattra « toutes les nations » liguées contre Israël. En une journée unique, toute la terre deviendra un désert, à l’exception de Jérusalem, qui « sera élevée et demeurera en sa place. » Le talent prophétique de Zacharie semble lui avoir inspiré une vision de ce que Dieu pourrait faire avec des armes atomiques : « Et voici quelle sera la plaie dont l’Éternel frappera tous les peuples qui auront combattu contre Jérusalem: il fera tomber leur chair en pourriture pendant qu'ils seront debout sur leurs pieds, leurs yeux se fondront dans leur orbite, et leur langue se fondra dans leur bouche. » Ce n’est qu’après ce carnage que viendra la paix mondiale : « Il arrivera que tous les survivants de toutes les nations qui auront marché contre Jérusalem monteront année après année se prosterner devant le roi Yahvé Sabaot et célébrer la fête des Tentes. Celle des familles de la terre qui ne montera pas se prosterner à Jérusalem, devant le roi Yahvé Sabaot, il n’y aura pas de pluie pour elle. Etc. »


Est-il possible que ce rêve biblique, mélangé au néo-machiavélisme de Leo Strauss et au militarisme du Likoud, anime secrètement un clan d’ultra-sionistes particulièrment déterminés et organisés ? Le général Wesley Clark a témoigné à de nombreuses occasions, devant caméras, qu’un mois après le 11 septembre 2001, un général du Pentagone lui montrait un mémo émanant des stratèges néoconservateurs « qui décrit comment on va prendre sept pays en cinq ans, en commençant par l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie et le Soudan, et en finissant par l’Iran . » Or les « sept nations » ennemies d’Israël, évoquées en Josué 24:11, font partie des mythes bibliques inculqués aux écoliers israéliens dès l’âge de neuf ans. Selon Deutéronome 7, Yahvé livrera à Israël « sept nations plus grandes et plus puissantes que toi. […] Yahvé ton Dieu te les livrera, elles resteront en proie à de grands troubles jusqu’à ce qu’elles soient détruites. Il livrera leurs rois en ton pouvoir et tu effaceras leur nom de dessous les cieux ».

 

Les chrétiens évangéliques, pour qui la Fin du monde sonne comme une bonne nouvelle, trouvent dans le Livre de l’Apocalypse de quoi alimenter leur fantasme, avec notamment l’ange « Fidèle et Véritable » du chapitre 19, qui s’abattra sur la terre avec ses « armées du ciel », qui a les yeux « comme une flamme de feu », un « vêtement teint de sang » et, dans sa bouche, « une épée tranchante pour frapper les nations».

Général Wesley Clark révèle un plan d'attaque contre 7 pays, élaboré dès 2001.

Jacques Attali, dans son émission sur la chaîne Public Sénat avec Stéphanie Bonvicini, se prend à « imaginer, rêver d’une Jérusalem devenant capitale de la planète qui sera un jour unifiée autour d’un gouvernement mondial. »

Zev Jabotinsky écrit également : « La colonisation sioniste, même la plus limitée, doit soit se terminer, soit être menée à bien au mépris de la volonté de la population autochtone. Cette colonisation ne peut, par conséquent, continuer et se développer que sous la protection d'une force indépendante de la population locale : un mur de fer que la population autochtone ne pourra pas franchir. Voici, en globalité, notre politique envers les Arabes. La formuler autrement ne serait qu'hypocrisie. » 

En assassinant Yitzhak Rabin en 1995, après les Accords d’Oslo, Yigal Amir dit avoir obéi à une obligation religieuse : « Si je faisais la conquête du pays aujourd’hui, je devrais tuer des bébés et des enfants, comme il est écrit dans le Livre de Josué . »

Avec plus de 50 millions de membres, le mouvement Christians United for Israel est une force politique considérable aux États-Unis. Son président, le pasteur John Haggee, déclare : « Les États-Unis doivent se joindre à Israël dans une frappe militaire préemptive contre l’Iran pour réaliser le plan de Dieu pour Israël et l’Occident, [...] une confrontation de fin du monde prophétisée dans la Bible, qui mènera à l’Enlèvement des saints, la Tribulation et la Seconde Venue du Christ. »

« Le danger auquel sont confrontés les juifs aujourd’hui n’est pas que les chrétiens veulent les persécuter, mais que les chrétiens veulent les épouser , » a dit Irving Kristol (cité dans Commentary, janvier 1994), favorable à la prohibition des mariages mixtes en Israël, tout comme son maître Leo Strauss (National Review, 5 janvier 1957). Dans la littérature deutéronomique et prophétique, les mariages mixtes constituent, avec le culte des dieux étrangers, l’un des deux péchés dont découlent tous les maux du peuple hébreu.

50 ANS D'ETAT PROFOND

de l'assassinat de Kennedy au 11-Septembre

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